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Paris
Théâtre du Châtelet
06/18/2009 -  et 20*, 22, 23, 24 juin 2009
Gérard Pesson : Pastorale (création française)

Judith Gauthier (Astrée), Olivier Dumait (Céladon), Ivan Geissler (Listandre), Marc Labonnette (Adamas), Pierre Doyen (Silvandre), Marie-Eve Munger (Florice, Sylvie), Hoda Sanz (Phillis), Raphaëlle Dess (Diane), Melody Louledjian (Une bergère), Amaya Dominguez (Une bergère, Léonide), Sophie Leleu (Une bergère, Galathée), Jean-Gabriel Saint-Martin (Hylas), Thomas Huertas (Lycidas), Vincent De Rooster (Le berger), Juliette Elie (Méril)
Chœur du Châtelet, Alexandre Piquion (chef de chœur), Orchestre symphonique Région Centre-Tours, Jean-Yves Ossonce (direction musicale)
Pierrick Sorin (mise en scène, vidéo, décors, costumes et lumières), Kamel Ouali (chorégraphie), Jean-Philippe Delavault (collaboration à la mise en scène), Eric Perroys (opérateur vidéo)


(© Marie-Noëlle Robert)



Première de deux nouvelles productions le même soir à Bastille et au Châtelet, emblématiques de leurs directeurs respectifs, Gerard Mortier et Jean-Luc Choplin: d’un côté, Le Roi Roger de Szymanowski revu et corrigé par Krzysztof Warlikowski (voir ici); de l’autre, un joyeux mélange des genres autour de Pastorale (2006/2009) de Gérard Pesson (né en 1958), «événement associé» au Festival Agora. Des opéras qui possèdent d’ailleurs au moins un point commun, en ce qu’ils racontent tous deux des histoires de berger(s): en effet, s’il est beaucoup question ces derniers temps de La Princesse de Clèves, Pastorale adapte, comme Eric Rohmer au cinéma la même année, une autre pierre angulaire de la littérature française, L’Astrée (1607-1628).


Du roman-fleuve d’Honoré d’Urfé, le livret coécrit par Martin Kaltenecker, Philippe Beck et le compositeur, avec la collaboration d’Hervé Péjaudier, retient l’aspect ludique, qui tenait en haleine les lecteurs de l’époque, pour le transposer dans la nôtre, celle de la téléréalité. Sous la houlette d’un druide en bottes plateformes, d’un dynamique animateur, d’un chœur de seize chanteurs et d’une troupe de dix danseurs, une dizaine de jeunes recrues, vêtues comme des baba cool partant à la conquête du Larzac, participent à un jeu de piste qui tient à la fois de «Loft story», «Koh Lanta», «La Ferme célébrités» ou «L’Ile de la tentation». Par une sorte de construction en abyme, la télévision n’est pas seulement le sujet du spectacle, mais contribue elle-même au casting: le chorégraphe n’est autre que Kamel Ouali, celui de la «Star Academy», de laquelle est issue la chanteuse Hoda Sanz (saison 4, 2004), tandis que Raphaëlle Dess s’est fait connaître dans la «Nouvelle Star» (millésime 2007). Pour chacune de ces transfuges de TF1 et M6, Pesson a composé, sur des textes d’Adrien Léveillé, un nouveau numéro, plus adapté à sa performance vocale.


Jolie trouvaille de communication! Car cette version postmoderne des amours d’Astrée et Céladon s’efforce d’attirer le client en soulevant sa curiosité, comme en son temps l’association du hip-hop et des Paladins de Rameau, quitte à marier la carpe – un auteur parmi les plus elliptiques, sinon les plus ésotériques – au lapin – un chorégraphe qui s’est fait connaître dans les comédies musicales – le tout sous la bénédiction d’un troisième larron, l’iconoclaste – si l’on ose dire à propos d’un vidéaste – Pierrick Sorin. Déjà remarqué au Châtelet dans La Pietra del paragone de Rossini début 2007, il est cette fois-ci présent sur tous les fronts: mise en scène, décors, costumes, lumières mais surtout images vidéo, capitales dans cette mise en perspective de l’univers télévisuel, dont le caractère factice n’est en rien dissimulé. Depuis la salle, nul ne peut en effet ignorer que les superbes vues de cette Arcadie forézienne ne résultent que d’une illusion obtenue grâce à d’astucieux trucages: sur scène, les opérateurs filment en gros plan des éléments miniaturisés qui sont diffusés en temps réel par de multiples écrans, servant au besoin de paravents sur lesquels se découpent des ombres. Couleurs, superpositions, fumées, «totem d’images», tout est mis à contribution, offrant un grand luxe de moyens pour ce qui est en réalité la création scénique de l’œuvre: commandée par l’Opéra de Stuttgart, elle n’y avait finalement été donnée, en raison d’une grève, qu’en version de concert, en mai 2006 sous la direction de Kwamé Ryan.


Le second degré est sans cesse de rigueur: si la préciosité du style originel est conservée, suscitant des dialogues artificiels et presque surréalistes, elle est toutefois détournée par de plaisants décalages: trois «nymphirmières» soignent Céladon, telles une version porno des dames de La Flûte enchantée, tandis qu’Astrée se voit traiter de «tondeuse de moutons». Il est vrai que dans ces aventures de bergers gaulois qui ne visaient déjà guère à la vraisemblance au XVIIe siècle, l’animal bouclé tient la vedette, représenté sous la forme de marionnettes goguenardes ou évoqué par des boîtes à bêê, équivalents ovins des boîtes à meuh. Dans le même esprit, la charrette devient une automobile électrique et la grotte de Céladon une caravane. Le public sourit, ou rit même parfois franchement, en particulier dans cette scène, digne de Certains l’aiment chaud, où Céladon, contraint de s’être travesti en femme à l’insu d’Astrée, tente de dormir entre elle et son amie Phillis: au comique de situation s’ajoute le comique de mots, lorsque le jeune homme se voit proposer, comme Golaud par Mélisande, s’il veut un autre oreiller pour remplacer celui souillé par «une petite tache de sang».


Adoptant la technique du cadavre exquis, l’affiche se fait ainsi la fidèle illustration d’une production revendiquant le télescopage d’éléments hétérogènes dont l’assemblage vise délibérément à l’incongruité. C’est évidemment le cas de la musique au regard aussi bien de la chorégraphie – le bruit des pas risque même à chaque instant de couvrir les sons fragiles et feutrés de l’orchestre – aussi bien que des costumes ou du dispositif scénique. Mais c’est aussi le cas, de façon plus inattendue, au sein même de la partition, entre la fosse et la scène. A l’orchestre, c’est le Pesson familier, pas si statique que cela, maître de l’instant et zélateur de la furtivité, pince-sans-rire dans sa façon de procéder par allusions ou citations et de plier à différents exercices de style (madrigal, musette, rondeau, tambourin, branle du Poitou ou fête pour le gui de l’an neuf). Pour ce faire, il use d’un effectif de quarante-et-un musiciens, riche en instruments rares non seulement parmi les percussions – entre autres, serinettes, appeaux, gonfleurs à matelas, langue de belle-mère (serpentin), rhombes tournoyant dans l’air – mais parmi les autres pupitres (flûte à bec, harpe celtique, cornemuse, ...).


Par contraste, le traitement des voix, soucieux de préserver l’intelligibilité du texte, apparaît bien plus traditionnel, au fond pas très éloigné de celui de la prosodie française la plus éprouvée, celle de Pelléas. Dès lors, le chant et l’orchestre semblent évoluer chacun sans considération de l’autre: l’hiatus est sans doute plus flagrant s’agissant des ex-pensionnaires des télé-crochets, mais même les solistes de formation classique ne parviennent pas à contredire cette impression. Cela étant, ils tirent tous assez bien leur épingle du jeu, à commencer par le Céladon d’Olivier Dumait et, malgré un timbre acide, l’Astrée de Judith Gauthier, dont le grand air (?) est accompagné de la manière la plus délicieusement improbable qui soit (flûtes de pan, harmonicas, ...). Mention spéciale, également, pour le travail de Jean-Yves Ossonce à la tête de son Orchestre symphonique Région Centre-Tours.


En un peu de plus de deux heures, quatre actes et quarante-quatre scènes (numéros), l’opéra – puisque cet objet non identifié avoue banalement se ranger dans cette catégorie – met à rude épreuve la patience de certains spectateurs, probablement ceux qui avaient été séduits par les labels «Star Ac’» ou «Nouvelle Star»: ici, pas de fortissimo wagnérien ou straussien pour que les claquements de talons de leur défection passent inaperçus. L’envie vient certes quelquefois de les imiter, mais en fin de compte, l’expérience vaut néanmoins la peine d’être menée jusqu’à son terme.


Le site de Judith Gauthier
Le site de Raphaëlle Dess



Simon Corley

 

 

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