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Voix printanière et ivresse sonore

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
06/11/2009 -  et 12 juin 2009 (Orléans)
Joseph Haydn : Les Saisons, Hob. XXI.3

Teodora Gheorghiu (Hanne), Emiliano Gonzalez Toro (Lukas), Markus Eiche (Simon)
Vocalconsort Berlin, Les Talens lyriques, Christophe Rousset (direction)


Christophe Rousset (© Eric Larrayadieu)



Alors que les beaux jours tardent encore à venir en ce mois de juin, le concert de ce soir avait pour premier mérite de nous rappeler que, pourtant, les saisons existent et que, normalement, l’été, avec son soleil et sa chaleur, doit s’imposer tôt ou tard, laissant la fraîcheur et la pluie loin derrière lui. Dans un Théâtre des Champs-Elysées relativement peu rempli, Christophe Rousset et son ensemble Les Talens lyriques donnèrent une magnifique interprétation d’une des œuvres phares de Joseph Haydn (1732-1809), contribuant ainsi à la célébration du bicentenaire de sa mort.


Composé de 1799 à 1801, Les Saisons est le troisième oratorio de Haydn après Les sept dernières paroles du Christ (1796) et La Création (1798). C’est également le dernier : il est vrai que les circonstances de sa composition furent particulièrement pénibles pour Haydn qui, une fois l’ouvrage achevé, en sortit véritablement éreinté tant physiquement que psychologiquement. S’inspirant de quatre poèmes de l’Ecossais James Thomson (1700-1748), L’Hiver (1726), L'Été (1727), Le Printemps (1728) et L’Automne (1730), ensemble dont la version finale date de 1746, le célèbre baron Gottfried van Swieten (1733-1803), diplomate, bibliothécaire impérial à la Cour d’Autriche, ami des arts et des lettres, dédicataire entre autres de la Première symphonie de Beethoven, librettiste de Haydn pour La Création, établit un nouveau livret à l’attention de son ami. Au cours des deux années requises pour la composition de ce nouvel oratorio, les malentendus entre Swieten et Haydn se multiplièrent, le baron s’ingéniant notamment à conseiller le compositeur, à lui suggérer des interventions musicales simplistes et sans grande imagination. Finalement, la création triomphale des Saisons eut lieu en avril 1801 ; le succès ne s’est jamais démenti depuis.


Plus qu’une description naïve des saisons en tant que telles, Haydn a choisi de relater l’appréhension des rythmes saisonniers par deux jeunes paysans, Hanne et Lukas, et le père de la jeune fermière, Simon. Par définition puisque nous sommes ici dans un oratorio, le chœur se voit ici confier un rôle prépondérant : force est de constater que le Vocalconsort Berlin se montra exceptionnel de bout en bout. Qu’il s’agisse des célèbres chœurs « des chasseurs » (Hört, hört das laute Getön !) ou « des vendangeurs » (Juchhe ! jucche ! Der Wein ist da) au cours de L’Automne ou du non moins remarquable chœur Sei nun gnädig, milder Himmel ! dans l’épisode du Printemps, les trente chanteurs furent toujours au diapason de l’atmosphère souhaitée par le compositeur : enjoués, plaintifs, respectueux de la création de Dieu (Simon ayant en effet rappelé aux deux jeunes paysans que, contrairement à ce qu’ils pouvaient penser, ils n’admiraient point la nature mais l’œuvre du Seigneur), ils suivent avec finesse la moindre indication de Christophe Rousset. L’ovation qui les a salués à la fin de l’interprétation n’a été que justice !


Il en est allé de même pour les musiciens des Talens lyriques. Les Saisons nécessitent en effet un instrumentarium important : flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, trompettes, trombones, cors par deux, timbales et, évidemment, orchestre à cordes. Il est piquant de se rappeler que Haydn critiquait van Swieten qui poussait le compositeur à imiter les sons de la nature («Je ne veux pas imiter des grenouilles qui coassent, cette sorte de choses est vulgaire» opposait pourtant le compositeur) alors que sa partition fourmille de tels exemples. Qu’il s’agisse des trilles des hautbois et des flûtes pour illustrer les bonds des agneaux dans l’épisode du Printemps (air de Hanne : « Seht die Lämmer, wie sie springen »), des trémolos puis des sons alanguis des cordes pour imiter les bourrasques et le caractère pesant de la chaleur estivale, des pizzicati des violons annonçant la pluie d’orage, Haydn n’a pas lésiné pour confier à l’orchestre tous les accents de la nature au fil des quatre saisons. Si l’ensemble des musiciens fut irréprochable, on mentionnera tout particulièrement les excellents Jocelyn Daubigney (flûte), Gilles Vanssons (hautbois), Lionel Renoux et Serge Desautels (cors), ces derniers ayant été plus qu’à la hauteur pour accompagner le chœur des chasseurs lors de L’Automne, virevoltant et festif à souhait. Quant aux accompagnements des solistes et aux ensembles orchestraux, Les Talens lyriques permirent à l’auditeur de profiter à chaque instant d’une incomparable ivresse sonore nous rappelant, si besoin était, que Haydn a toujours été un orchestrateur hors pair.


A l’instar de La Création, Les Saisons font appel à trois solistes vocaux, une soprano, un ténor et une basse. Les trois chanteurs réunis ce soir habitèrent pleinement leur rôle, se mettant ainsi à l’unisson de l’ensemble des interprètes pour célébrer Haydn. Si elle fit preuve d’une certaine timidité lors de ses premières interventions, la jeune Teodora Gheorghiu s’épanouit progressivement et, de sa voix claire et fraîche, elle donna de superbes moments parmi lesquels son air « Willkommen jetzt, o dunkler Hain » et, surtout, sa narration, tendre et comique, de l’histoire de la séduction ratée d’une jeune fille par un chevalier qui n’avait pour seul atout que son rang (« Ein Mädchen, das auf Ehre hielt »), dernier passage important qui lui est confié dans L’Hiver. Emiliano Gonzalez Toro campe un Lukas attachant, simple et gentil, pétri de bons sentiments. Faute de grand air à lui seul confié, il prouve ses nombreuses qualités vocales (clarté de la diction, sens donné aux mots, émission vocale aisée) lors de ses nombreux récitatifs et à l’occasion des duos qu’il chante avec Hanne, sa bien-aimée. Le personnage de Simon est, de loin, le plus intéressant : autorité morale du trio, son caractère oscille entre celui de « sage » et de « rabat-joie » puisque, coupant court à leurs rêveries, c’est lui qui signale à Hanne et Lukas que Celui qui doit être loué est Dieu et non telle ou telle saison, qui n’en est que l’œuvre, et qui sait également leur rappeler que le travail est une vertu fondamentale (c’est, au début de l’Automne, l’air controversé « So lohnet die Natur den Fleiß »). Markus Eiche est idéal : outre une diction absolument parfaite, il joue très habilement des ambiguïtés de ce personnage dont, finalement, on ne sait trop s’il faut l’aimer ou, au contraire, le laisser radoter à sa guise.


Avec une telle équipe, Christophe Rousset est en pleine confiance, s’offrant même le luxe d’assurer, au pianoforte, les parties de continuo avant de reprendre place sur l’estrade pour diriger les parties orchestrales de l’œuvre. Sa direction, précise et sans ostentation, permet à chacun de parfaitement trouver sa place et, de ce fait, de rendre pleinement honneur à une des plus belles partitions de Joseph Haydn.


Le site des Talens lyriques



Sébastien Gauthier

 

 

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