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Paroles et musique Paris L’Archipel 06/04/2009 - Viktor Ullmann : Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke
Claude Debussy : Etudes
Christophe Sirodeau (piano), Timothée Laine (récitant)
Christophe Sirodeau et Timothée Laine
Christophe Sirodeau a choisi de présenter à L’Archipel un programme aussi copieux qu’original, non seulement par le choix des œuvres, mais par le rôle essentiel confié à un récitant, Timothée Laine: consubstantielle à la partition dans Le Dit d’amour et de mort du cornette Christoph Rilke (1944) d’Ullmann, la démarche est nettement plus inhabituelle pour les Etudes (1915) de Debussy, ici précédées chacune de la lecture d’un texte ou d’un poème. Il faut évidemment y voir la volonté du pianiste et compositeur français (né en 1970) de rendre un hommage à sa mère, en ce jour qui aurait marqué son soixante-dixième anniversaire: non seulement l’actrice Catherine Léry (1939-1994) a vu son souhait d’entreprendre une carrière de concertiste contrarié par ses parents, mais elle a consacré une grande partie de sa vie d’actrice à la poésie, le cas échéant associée à la musique, par exemple avec Milosz Magin.
Ardent défenseur de Feinberg et Skalkottas, Christophe Sirodeau fait ici découvrir l’une des partitions que Viktor Ullmann (1898-1944), l’auteur de L’Empereur d’Atlantis, écrivit et interpréta à Terezin avant son assassinat à Auschwitz par les nazis. Alors que Frank Martin, au même moment, faisait du texte (1899) de Rainer Maria Rilke évoquant une campagne militaire contre l’Empire ottoman un traditionnel cycle de lieder, Ullmann recourt à la forme du mélodrame, c’est-à-dire d’un récit dont certaines sections sont accompagnées par le piano. Sombre et lyrique, rappelant aussi bien Berg que Hindemith et Prokofiev, la musique appelle visiblement l’orchestre, mais le compositeur ne put mener ce travail à son terme. Timothée Laine s’investit pleinement dans la traduction française, n’hésitant pas à passer de la narration à l’action avec un engagement de nature plus dramatique.
Douze pièces structurées en deux parties et nées en temps de guerre: ce sont sans doute les seuls points communs entre ces pages d’Ullmann et les Etudes de Debussy. Peu de musiciens relèvent le défi de donner en concert l’intégralité d’un recueil d’une exigence technique et artistique, qui, de même que Jeux par rapport à La Mer, n’a pas acquis la popularité des Images ou des Préludes. Christophe Sirodeau déploie un jeu très physique, robuste au besoin, pour faire ressortir le caractère expressif mais aussi ludique et versatile de ce testament debussyste. Une vision haute en couleur qui trouve son pendant dans les textes qu’il a sélectionnés: poètes mis en musique par Debussy – Mallarmé (trois fois), Poe (deux fois), Baudelaire, Verlaine, Louÿs – ou ses contemporains – Proust (qu’il refusa de rencontrer), Laforgue (qu’il admirait), O. V. de L. Milosz, au service desquels Timothée Laine met une diction un rien précieuse, qui vire néanmoins à l’exaltation dans «Enivrez-vous!».
Une riche soirée, emblématique de la programmation de Pierre Dyens à L’Archipel, un cinéma où l’accès à la musique n’est guère plus coûteux pour le spectateur qu’une place pour un film et qui mériterait donc un public plus nombreux.
Le site de la Fondation Viktor Ullmann
Simon Corley
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