About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Dérangeant mais fascinant

Paris
Opéra Bastille
04/04/2009 -  et 7, 10, 13, 17, 20, 23, 26 & 29 avril, 5, 8 mai 2009
Giuseppe Verdi : Macbeth
Dimitris Tiliakos (Macbeth), Ferruccio Furlanetto*/Dimitry Ulyanov (Banco), Violeta Urmana*/Larisa Gogolevskaya (lady Macbeth), Letitia Singleton (la Dame de lady Macbeth), Stefano Secco*/Oleg Wideman (Macduff), Alfredo Nigra (Malcolm), Yuri Kissin (Un médecin), Jian-Hong Zhao (Un sicaire), Soliste de la Maîtrise des Hauts-de-Seine (Première Apparition), Denis Aubry (Deuxième Apparition), Vania Boneva (Troisième Apparition), Jean-Christophe Bouvet (Duncan)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine, Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, Teodor Currentzis*/Petr Belyakin (direction)
Dmitri Tcherniakov (mise en scène)


(© Ruth Walz/Opéra national de Paris)


Vue aérienne sur une ville moderne, puis intérieur d’une cour de cité blafarde : on se dit d’abord que la vidéo, à l’opéra, ça commence à bien faire… et que les HLM, on a déjà donné. On ne comprend pas forcément pourquoi non plus les sorcières deviennent les habitants de la cité, ce qui évacue le fantastique. Macbeth en est peut-être issu, mais il a fait son chemin, comme Banquo, sans doute par des voies peu honnêtes. Plongée ensuite sur la villa luxueuse des Macbeth – aux Etats-Unis ? en Europe ? de l’Est ? de l’Ouest ? : nous voilà décidément entre Mappy et la caméra de surveillance. Bref, on s’agace, on flaire le déjà-vu, on débusque les tics du moment. Cela passe vite : le spectacle dévoile vite sa cohérence et sa force, via une direction d’acteurs assez impressionnante de précision et de pertinence, en particulier pour la folie du couple. Car c’est bien l’histoire d’un couple qu’a perçue dans l’opéra de Verdi l’iconoclaste Dmitri Tcherniakov, plus dérangeant encore ici que dans son Eugène Onéguine de début de saison (lire ici) : Lady chante ses deux premiers airs en présence de Macbeth. Un couple de parvenus que le crime dépasse, à la fois monstrueux et ridicules, enfermés dans leur maison comme dans une cage – d’où cette espèce de boîte rectangulaire où le metteur en scène situe les scènes d’intérieur. Dès le début, lui n’est qu’une loque immature, qui chantera plus tard son air en position fœtale sur la table de sa salle à manger, presque comme un enfant, cet enfant qu’il n’a pas eu – Macduff, lui, chante le sien dans le lit de ceux qu’il a perdus. Elle est parfois grotesque, avec son look de femme d’affaires ivre de réussite – elle chante le Brindisi en faisant des tours de prestidigitation à deux sous. Pour Tcherniakov, le mal, dans Macbeth, n’est pas métaphysique, il ne s’inscrit pas dans une fatalité, il n’est qu’ordinaire, banal, quotidien : la tragédie shakespearienne tient finalement du fait divers, où les crimes sont de vulgaires règlements de comptes. Elle tient aussi du drame social, plutôt que de l’histoire politique : les exilés ressemblent à des expulsés, aux laissés-pour-compte d’une société impitoyable – on croirait, pour un peu, qu’ils chantent l’Internationale à une manifestation altermondialiste, alors que Duncan ressemblait à une caricature de parrain, à un pitre mafieux. Contresens justifiant les copieuses huées du public à la fin ? C’est oublier un peu vite que la force du mythe réside dans la pluralité de ses significations et que l’on n’est pas obligé de faire éternellement de Macbeth l’histoire d’un pacte avec les ténèbres joué sur une scène obscure où les sorcières font leur popote. C’est oublier aussi que la production ne tombe heureusement pas dans les platitudes schématiques de la mise en scène militante, qui émousseraient son impact : on ne s’attache pas plus à ses victimes qu’au couple lui-même. Parce que ce couple n’est pas grandi par le crime : le crime est trop grand pour lui. Au-delà de l’irrévérence, grâce à elle peut-être, une authentique vision.


Directeur musical de l’Opéra de Novossibirsk, le bouillant Teodor Currentzis, très désordonné naguère dans Don Carlos (lire ici), s’avère beaucoup plus à l’aise ici – même s’il s’agite toujours autant. Sa battue haletante, hérissée d’aspérités assumées, aux contrastes exacerbés, organise l’opéra comme une course hystérique à l’abîme : elle fouette littéralement un orchestre consentant, parfaitement maître de sa virtuosité. Le jeune chef grec, malgré les apparences, ne se laisse pas davantage emporter, il canalise sa démesure – sinon qu’il lui arrive de submerger parfois la scène sous la houle de la fosse, trouvant des couleurs d’une crudité digne de la tragédie shakespearienne, notamment du côté des vents. Il y a du Delacroix dans sa direction : son choix a beau s’être porté sur la version de 1865 – sans le ballet ni le Chœur des esprits aériens, avec l’arioso final de la version de 1847 – il s’inscrit dans le romantisme flamboyant, très Risorgimento, du premier Verdi. Sans négliger le détail : la seconde lancinante du hautbois, dans la scène du somnambulisme, en dit beaucoup à travers ses deux notes. On veut bien le croire lorsqu’il affirme qu’il s’est plongé dans toutes les versions de Macbeth.


Vocalement, la situation est moins favorable. Si Alessandro di Stefano a fait remarquablement travailler le chœur, si Stefano Secco se rapproche de l’idéal dans « O, la paterna mano», si Ferruccio Furlanetto, malgré l’usure extrême du timbre, phrase superbement « Come dal ciel precipita », le couple Macbeth porte un sacré coup au chant verdien. Ancien mezzo devenu soprano, Violeta Urmana subit les conséquences de sa mue et ne se révèle pas ici le falcon attendu : le médium se dérobe, l’aigu s’arrache et le timbre s’est durci. Certes Verdi ne voulait pas une belle voix, mais les plus grandes Lady jouaient sur les couleurs et ne bousculaient pas la ligne – une Scotto n’y pouvait dissimuler des notes bien vilaines, elle y dispensait, dans la noirceur, une leçon de style. Ici les couleurs sont pauvres, ce qui compromet la scène du somnambulisme, pourtant l’un des meilleurs moments de la chanteuse – passons sur l’absence de contre- bémol, souvent escamoté sur les planches… même s’il donne tout son sens à la fin de la scène. Quant à la ligne, elle est souvent peu soignée, en particulier dans l’air d’entrée, qui frôle le naufrage ; les choses, ensuite, ont tendance à s’améliorer. Paradoxalement, la voix peut d’ailleurs s’avérer capable de souplesse et de légèreté : le Brindisi, qu’on craignait beaucoup, surprend par sa tenue, la qualité de ses trilles et des piqués. Déjà distribué in loco dans le Don Carlos dirigé par Teodor Currentzis, Dimitris Tiliakos n’aurait pas dû égarer sa belle voix dans un rôle où l’on attend un baryton plus puissant et plus aguerri. Quelques belles nuances – le diminuendo sur le fa aigu de « Pietà, rispetto, amore », beaucoup de conviction ne peuvent pallier les insuffisances du phrasé et de la ligne, sans parler d’un sens très relatif de la mesure. Question à la fois de technique – la maîtrise du souffle et du vibrato – et de style – tout est beaucoup trop brut. Là encore, les plus grands Macbeth n’ont jamais été les moins bien chantants, surtout dans les scènes de folie : la seconde rencontre avec les sorcières, ici, tourne court. Dommage : il y a là, encore une fois, un matériau de qualité.


La production a été préparée à Novossibirsk, où on l’a présentée en décembre : c’est l’opéra de l’Atlantique à l’Oural.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com