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Supérieur à la somme de ses parties Paris Cité de la musique 03/27/2009 - et 28 mars 2009 (Grenoble) Pascal Dusapin : Cycle des 7 formes, solos n°s 1 à 7 pour orchestre : Go, Extenso, Apex, Clam, Exeo, Reverso, Uncut (création)
Orchestre philharmonique de Liège Wallonie-Bruxelles, Pascal Rophé (direction)
Commande de la Cité de la musique, de la MC2 de Grenoble, de la Philharmonie d’Essen, de l’Orchestre philharmonique de Liège Wallonie-Bruxelles et d’Ars Musica à Bruxelles, Uncut (2009) complète le cycle des sept Solos pour orchestre que Pascal Dusapin entreprenait en 1991. Le cycle, composé suivant les commandes entre 1991 et 2009, répond à un certain désir de grande forme. Les commandes pour orchestre qui lui sont adressées imposent toujours une durée assez courte et c’est ainsi que, dès la composition de Go, Dusapin concevait le projet d’une œuvre plus vaste dont les sept épisodes complémentaires et interféconds, afficheraient, sans entrave à leur autonomie nécessaire, une relation forte qui permettrait l’exécution de l’intégralité des sept pièces lors d’un même concert. La création de Go, premier Solo, eut lieu en juin 1992. Le 27 mars à la Cité de la Musique, Pascal Rophé à la tête de l’Orchestre philharmonique de Liège Wallonie-Bruxelles assurait la création du septième et dernier Solo, Uncut, à sa place en fin de la toute première exécution intégrale du Cycle des 7 formes lors d’un concert d’une envergure impressionnante.
L’œuvre est ambitieuse, dans le meilleur sens du terme, autant par sa conception audacieuse et par son étendue que par sa durée (près de cent minutes) et par son effectif, qui est celui d’un grand orchestre (bois et cuivres par trois et plus). L’effectif précis varie, cependant, de Solo en Solo, avec ou sans percussion, timbales ou harpe, et pour faciliter la mise en place, en plus des pauses entre les Solos déjà plus longues qu’entre deux mouvements d’une symphonie, on a aménagé deux entractes, le premier après les trois premiers Solos et le second après les deux suivants. Devant l’originalité de l’ensemble et la présentation en trois parties, le public, indécis entre la notion de cycle et celle de l’autonomie des pièces, hésitait à s’exprimer. Les applaudissements jaillissaient à la fin de chaque Solo pour s’étouffer rapidement et l’auditoire ne s’est permis de donner libre cours à son enthousiasme chaleureux qu’en toute fin de cycle. L’idéal serait une interprétation enchaînée comme celle d’un cycle plus classique mais la densité de l’œuvre, sa richesse, son énergie et la tension permanente qu’elle engendre l’interdiraient certainement.
Le Cycle des 7 formes est une œuvre remarquable, une nouvelle entité magnifique, supérieure à la somme de ses parties. L’orchestre solo de Pascal Dusapin est traité comme une voix humaine, une voix unique et symphonique à tessiture étendue, capable de traits sauvages ou calmes, de cris stridents, de tintements, de mélopées, d’annonces subtiles ou de grondements sombres selon l’élan de l’instant. Sa musique, énergique, passionnée, dramatique et sensuelle, relève néanmoins d’une écriture fine, d’un sens rigoureux de la structure, d’une connaissance affinée des possibilités instrumentales et d’un remarquable sens du relief orchestral.
Si ce qui relie en profondeur les sept Solos est une échelle mélodique de quatre ou cinq notes, un mode à l’occasion pentatonique, Dusapin se concentre sur la forme; les titres évocateurs des Solos sont autant d’indices quant aux procédés de contradiction ou de germination musicales qui permettent à un épisode de s’épanouir à partir d’éléments du précédent, ou d’éléments encore plus en amont, et d’affirmer son caractère propre bien plus en aval. Ainsi, par exemple schématique, l’immense vague déferlante de Go se replie en douceur lors du début d’Extenso (1993) pour se répandre de nouveau avec force avant les jaillissements puissants de sa verticalité progressivement prédominante. L’étirement des sons finaux dessine l’espace dans lequel s’insèrent les longs crescendos hésitants d’Apex (1994) dont la calligraphie des traits successifs se conforme peu à peu dans ses élans à l’image du titre. Clam (1998) éclate sans cesse comme de l’intérieur. Animé «d’une force tellurique oscillant entre le stable et l’instable» (Dusapin), Exeo prend le contre-pied et s’abat de l’extérieur, une structure double le portant puissamment en avant dans un mouvement semblable à celui de Go. Reverso (2002), le plus long des Solos, tout en entrelacs et d’allures et d’humeurs fluctuantes, tente l’impossibilité du chemin inverse. L’intense Uncut, diamant brut aux éclats de fanfare agressive, s’élève en variation de l’ensemble et sa conclusion féroce, sans doute le point final, est une fin ouverte.
Pascal Rophé mène l’orchestre avec fougue et conviction, sa gestuelle, extérieurement très classique, manifestement efficace dans le dessin du moindre détail orchestral. Les partitions, intenses, denses aux riches couleurs et aux fulgurances soudaines, exigent une grande vigilance et une certaine virtuosité de la part des instrumentistes – on peut admirer les attaques et la belle permanence des cordes, la cohésion des bois, l’éclat des cuivres et la performance énergique des percussionnistes si souvent sollicités. L’accueil réservé ce soir-là au compositeur, clairement heureux de la prestation, était des plus chaleureux.
Il s’agissait du premier concert du cycle «Domaine privé Pascal Dusapin» organisé par la Cité de la Musique, cycle qui se terminera le 11 avril avec une représentation de son sixième opéra, Passion, créé à Aix-en-Provence en juillet 2008. L’Orchestre philharmonique de Liège Wallonie-Bruxelles sous la direction de Pascal Rophé procède actuellement à un enregistrement du Cycle des 7 formes, l’intégrale des Solos pour orchestre, qui paraîtra chez Naïve au cours du second semestre 2009.
Le site de l’Orchestre philharmonique de Liège Wallonie-Bruxelles
Christine Labroche
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