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Toute la lumière sur Così

Paris
Opéra de Massy
03/20/2009 -  et 22, 24* mars 2009
Wolfgang Amadeus Mozart : Così fan tutte, K. 588

Cécile Perrin (Fiordiligi), Patricia Fernandez (Dorabella), Antonio Figueroa (Ferrando), Thomas Dolié (Guglielmo), Lydia Mayo (Despina), Luciano Di Pasquale (Don Alfonso), Luigi Di Gangi (acteur)
Chœurs lyriques de Saint-Etienne, Laurent Touche (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Massy, Dominique Rouits (direction musicale)
Luigi Di Gangi et Ugo Giacomazzi (mise en scène, création vidéo), Meg Marlisa Indemburgo (création et montage vidéo), Fabrizio Lupo (décors, costumes et lumières), Claire Pasquier (assistante à la mise en scène)


C. Perrin, P. Fernandez (© Opéra de Massy)



L’Opéra de Massy conclut la trilogie, étalée sur plusieurs saisons, des opéras que Mozart a composés sur des livrets de Lorenzo da Ponte par un Così fan tutte (1790) coproduit avec l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne. Ce spectacle y a déjà été présenté à deux reprises au début du mois avec une distribution entièrement différente, à l’exception du rôle de Dorabella et des seize membres des Chœurs lyriques stéphanois. Il a été conçu par deux metteurs en scène italiens, Luigi Di Gangi (né en 1972) et Ugo Giacomazzi (né en 1975): cofondateurs en 2005 à Palerme de la compagnie Teatrialchemici, c’est ici leur première expérience dans le domaine lyrique.


Ce n’est pas tant cela qui inquiète a priori, mais une note d’intention interminable et passablement embrouillée, expliquant que cet opera buffa consiste en un parcours initiatique accompli par les personnages: enfermés dans un monde factice, ils seront menés vers la renaissance de l’amour par un deus ex machina qui n’est pas, comme de coutume, Don Alfonso, mais un septième protagoniste, «phénix-cupidon» intervenant à certains moments-clefs de l’action et incarné par Luigi Di Gangi lui-même. Attendant avec quelque perplexité ce Zauber-Così, on n’est guère rassuré par les premières minutes: pendant que les spectateurs s’installent, un écran vidéo placé au milieu de la scène diffuse un gros plan sur une paupière, puis un acteur, tenant à la fois du clown, de l’automate et du mime, vêtu d’un long manteau au dos duquel est brodé un phénix, se livre longuement à des circonvolutions incantatoires ponctuées de divers exclamations; durant l’exécution de l’Ouverture, la paupière s’ouvre sur une pupille mobile, «symbole de la vision. Le trou par excellence, la porte de l’âme: le cercle de l’orchestre dans l’infranchissable forme du teatron» des Grecs est la pupille». Soit.


La suite apporte heureusement davantage de satisfactions, car le point de vue adopté est cohérent, et défendu avec constance. La transposition dans les années 1970, «mythiques» pour cette équipe de trentenaire italiens qui jette néanmoins un regard critique sur cet époque, offre ce cadre artificiel dans lequel elle cherche à inscrire l’intrigue: cet orange et ce vert pomme trop réalistes pour être vrais, ces quelques objets (canapé, table de billard, réverbère, ...), transportés sur des «chariots» (praticables coulissants), trop flashy pour être réels, ces pantalons pattes d’eph’ trop larges pour être crédibles. Décors et costumes sont signés du seul Fabrizio Lupo, qui a également travaillé sur les lumières: celles-ci, du fait de la relative sobriété de la scénographie, deviennent essentielles au fonctionnement du dispositif. Lettres bleutées signalant une météorologie des passions («Les nuages», «La pluie», «Vent et tempêtes») ou une caractérisation tautologique à la Magritte («Bleu clair», «Bleu foncé»), séries de petites ampoules colorées formant des dessins (arc-en-ciel, ...), points blancs comme autant d’étoiles, ce sont autant d’éclairages nouveaux jetés sur Così.


Un peu à la manière du Tristan de Peter Sellars et Bill Viola, le duo de metteurs en scène, assisté de Meg Marlisa Indemburgo, accorde une place centrale à la vidéo: contrepoint de l’action et de la musique, l’écran central diffuse en permanence des images – flore filmée de très près, eau, formes plus abstraites – sur lesquelles vient parfois s’incruster, en ombres chinoises et en temps réel, la silhouette du «phénix», comme pendant l’air de Fiordiligi au second acte, dans un effet poétique tout à fait réussi. L’inconvénient tient toutefois à ce que ce mouvement continu tend à mobiliser l’attention déjà retenue par les chanteurs, les voix et les instruments, d’autant que s’y ajoutent les sous-titres, un peu en retard (et transformant «antidote» en substantif féminin).


Plus traditionnelle, la direction d’acteurs, respectant tant les indications du livret que les inflexions de la partition, même si, par exemple, les épées deviennent des queues de billard et si, surtout, ne fait cependant pas clairement ressortir la différenciation et l’évolution des caractères, esquissant des pantins définis à traits caricaturaux. Les sœurs passent pour de véritables greluches, Don Alfonso, moins machiavélique qu’à l’ordinaire, ne semble jamais avoir mieux à faire que de se recoiffer méthodiquement et les garçons paraissent aussi fanfarons l’un que l’autre, encore que l’accent soit bien mis sur la revanche que Ferrando prend sur Guglielmo, illusoire vainqueur, dans un premier temps, du défi. Sans échapper à l’infantilisation générale, seule la Despina-lolita en couettes s’en sort bien, y compris en médecin titi à la Jeanne Moreau façon Jules et Jim ou en notaire ébouriffé lisant dans une improbable boule de cristal.


Le jeu outré, les mouvements exagérés, l’arrivée des pseudo-Albanais en gilets jaunes fluo et survêtements de sports, glissant des cintres grâce à des filins métalliques, le style baroque de certains costumes, ou bien même leur trivialité à la Marthaler, tels ces chapeaux de paille, bonnets de marins à pompons et foulards des choristes qui mènent les militaires au champ de bataille ou les melons et redingotes parés d’argent des faux mariés, tout cet ensemble coloré et disparate contribue à une impression de distanciation surréaliste, comme si tout le monde faisait semblant d’y croire. Du coup, la mise en scène peine à gérer les moments plus intimistes, notamment la difficile succession d’airs au second acte


Comme l’équipe de production, le plateau mise également sur la jeunesse. Remplaçant Karen Vourc’h, Cécile Perrin ne se montre pas à son aise dans les extrêmes de sa tessiture, mais trouve les ressources nécessaires pour exprimer son désarroi au second acte. L’abattage et l’assurance de Patricia Fernandez en Dorabella frappent davantage, mais au prix d’une certaine imprécision. Le timbre nasal d’Antonio Figueroa ainsi que sa tendance à détimbrer dans l’aigu peuvent agacer, mais son Ferrando chante juste et phrase avec élégance. En Guglielmo, Thomas Dolié confirme pleinement tous les espoirs placés dans sa «Révélation artiste lyrique de l’année» obtenue en 2008 aux Victoires de la musique. Plutôt que le Don Alfonso essoufflé, à l’articulation parfois incertaine, de Luciano Di Pasquale, on préférera sans hésiter la verve inépuisable de Lydia Mayo en Despina, qui, pour une prise de rôle, brûle les planches sans en rien négliger la qualité de sa prestation vocale et pourra certainement aspirer à des emplois moins légers.


Sans essayer vainement de faire de l’authentique, sinon peut-être dans la précipitation inattendue du duo qui ouvre le finale du premier acte, mais avec une inépuisable probité et nonobstant des décalages récurrents avec les chanteurs, Dominique Rouits conduit un orchestre maison de bonne taille (vingt-neuf cordes), sans moelleux ni subtilité particuliers, mais tout à fait solide. Le continuo de clavecin ne manque pas de verve, telle cette citation de l’air de Figaro «Non più andrai» lorsqu’est annoncée la prétendue convocation des deux soldats, mais est desservi par une sonorité assez clinquante.


Un Così certes pas parfait – en est-il? – mais qui atteste de façon tout à fait encourageante que l’Opéra de Massy, fort de ses quinze ans d’expérience, possède également le savoir-faire de productions moins routinières que la Turandot de janvier dernier (voir ici), tout en disposant d’un public visiblement réceptif à de telles innovations.



Simon Corley

 

 

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