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Désespoir et danse

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
01/09/2009 -  et le 10 janvier 2009
Ludwig van Beethoven : Symphonie n°1
Dimitri Chostakovitch : Onze poèmes populaires juifs
Carl Nielsen : Symphonie n° 4, « L'Inextinguible »

Melanie Diener (soprano), Daniela Sindram (mezzo-soprano), Hubert Delamboye (ténor)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Hugh Wolff (direction)


(©Frank Hülsbröhmer)



Quand le programme d’une soirée comporte une majorité d'œuvres rares, il est probable que ce n’est pas à une banale Symphonie n°1 de Beethoven d’ouverture de concert que l’on va accorder beaucoup de travail de répétition. Le problème, malheureusement, est que cela peut s’entendre. Et même si Hugh Wolff s’engage beaucoup physiquement, le résultat laisse songeur, tant ces tutti dépourvus de substance et cette absence de projet d’ensemble ressemblent peu à une symphonie en état de marche. Heureusement après un Allegro con brio et un Andante cantabile hésitants les deux mouvements suivants paraissent mieux assurés, l’orchestre récupérant même au passage une sonorité plus riche. On note aussi qu’un peu partout au cours de ces quatre mouvements l’une ou l’autre phrase attire davantage l’attention, semble tout à coup davantage engagée, d’une musicalité plus nourrie. Et force est de constater que ces moments particulièrement réussis émanent souvent de la même personne, le hautboïste Sébastien Giot : pour l’orchestre assurément un bel atout.


Remarquable exploit d’ensemble en revanche pour la Symphonie n° 4, « L'Inextinguible » de Carl Nielsen, scrupuleusement mise en place par Hugh Wolff. A coup de décibels certes, mais sans que la démonstration paraisse bruyante ou creuse. L’œuvre elle-même, avec ses fréquentes ruptures de climat et ses éruptions mélodiques qui avortent aussi brutalement qu’elles sont soudainement apparues, peut déconcerter. Et même le travail d’architecte accompli par Hugh Wolff ne parvient pas à tout clarifier, laissant à plus d’une reprise l’auditeur à sa relative perplexité. Mais c’est là sans doute l’une des vraies originalités de la musique de Nielsen, qui si elle ne se livre pas forcément dès la première écoute, laisse entrevoir d’emblée un vrai potentiel de richesses à découvrir, à l’occasion d’une fréquentation plus assidue. L’orchestre réussit au moins à faire clairement passer ce message-là, en usant de sa cohésion des grands soirs : une rangée de cuivres homogène et même des cordes qui se départissent enfin de leur sonorité parfois creuse. Final traditionnellement spectaculaire, avec ses deux timbaliers en pleine action, disposés de part et d’autre des cuivres. La cause de Nielsen est efficacement plaidée, ce qui n’avait rien d’évident au départ, cette "Inextinguible" n’étant certainement la plus facile à défendre des six symphonies de son auteur.


En position centrale : les Onze poèmes populaires juifs op. 79a de Chostakovitch, rarement donnés dans leur version orchestrale (il n’est pas évident de réunir trois chanteurs de grand format au cours d’un concert symphonique, a fortiori pour une partition qui dure moins de 25 minutes). C’est d’ailleurs sur ce problème que la soirée manque d’achopper, suite à la défection surprise de Mihoko Fujimura, remplacée au dernier moment par la jeune mezzo-soprano allemande Daniela Sindram, qui fort heureusement avait déjà travaillé ces Mélodies en vue d’un concert antérieur. Compte tenu des moyens moins dramatiques et plus clairs de la nouvelle venue, l’équilibre des trois voix est sans doute relativement différent de ce qu’il aurait été en présence du timbre d’alto très dense de Mihoko Fujimura, mais il en résulte peut-être aussi des éclairages plus variés et davantage d’expressivité. Chantées en yiddish, ces Mélodies font vivre avec une éloquente simplicité tout un quotidien ordinaire, où il est question de misère et de brèves joies, d’amour, de mort… affects variés que la musique uniformément claire et simple de Chostakovitch dissimule sous des formes faussement naïves, avec çà et là, inopinément, de véritables petits gouffres qui s’ouvrent, telle cette plainte d’un père délaissé, proférée ici par le ténor Hubert Delamboye avec une intensité déchirante. « La musique populaire juive peut paraître joyeuse tout en étant tragique (…). Il devrait toujours y avoir deux niveaux dans la musique. Les juifs ont été tourmentés pendant si longtemps qu’ils ont appris à dissimuler leur désespoir. Ils expriment le désespoir dans de la musique de danse », écrivait Chostakovitch lui-même. Une dimension que tous les interprètes semblent avoir pleinement ressentie et efficacement transmise ce soir-là.



Laurent Barthel

 

 

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