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Prodigieux adieux

Baden-Baden
Festspielhaus
12/06/2008 -  
Felix Mendelssohn Bartholdy : Ouverture Meerestille und glückliche Fahrt Op. 27
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano N° 9 K. 271 « Jeunehomme »
Franz Schubert : Symphonie N° 4 D. 417 « Tragique »

Alfred Brendel (piano)
Orchestre Symphonique du SWF de Baden-Baden et Freiburg, Hans Zender (direction)


(© Andrea Kremper)


Cette fois, c’est bien fini. La tournée d’adieux qui a occupé Alfred Brendel tout au long de l’année 2008 s’achève. Ce Concerto K. 271 joué ce soir à Baden-Baden sera encore suivi de deux récitals à Leipzig et Hanovre, puis enfin, les 17 et 18 décembre, par deux ultimes exécutions de ce même Concerto « Jeunehomme » de Mozart en compagnie des Wiener Philharmoniker dirigés par Charles Mackerras. Ensuite, ce sera pour Brendel une retraite que l’on prévoit active et présente, mais plus à distance de ce piano qu’il n’a jamais quitté depuis plus de soixante dix ans.


On ne verra donc plus la silhouette dégingandée du pianiste autrichien s’appuyer sur le bord de son instrument pour saluer, en balayant l’auditoire de son éternel regard de myope. On n’entendra plus ses bis d’une prodigieuse intériorité, écoutés religieusement par une assistance définitivement terrorisée par autant de regards courroucés qu’il y aura eu de toux intempestives en début de concert, jusqu’à ce que règne un silence parfait. On n’entendra plus ce toucher invariablement sûr, immédiatement reconnaissable, immanquablement adapté à la taille du local d’écoute, même dans une salle aussi énorme que le Grosses Festspielhaus de Salzbourg.


En complément d’une discographie abondante ne vont donc nous rester que nos souvenirs, heureusement nombreux, car Brendel n’est jamais resté longtemps absent des lieux de concert qu’il fréquentait régulièrement. Outre ses récitals au programme invariablement viennois, on retiendra aussi à titre personnel des moments plus rares : un poignant Winterreise en partenariat avec Dietrich Fischer-Dieskau, paradoxalement baigné par la chaude lumière d’une fin d’après-midi printanière dans une petite salle à Freiburg, un formidable Air de concert K. 505 « Chio mi scordi di te… Non temer amato bene » de Mozart en duo avec Jessye Norman à Strasbourg (Philips enregistrait ce concert, depuis lors inexplicablement oublié, jamais réédité), un parfait Quintette pour piano et vents de Mozart, ou une restitution d’une rare évidence du Concerto de Schoenberg en compagnie de Michael Gielen. Et puis, plus subtils encore, ces lumineux et frémissants Concertos de Mozart donnés régulièrement avec l’Orchestre Symphonique du SWF de Baden-Baden et Freiburg dirigé par Hans Zender…


Du chambriste Neville Marriner aux plus originaux Zinman, Mackerras et Zender, Brendel a toujours très bien su choisir ses chefs mozartiens, partenaires raffinés bien davantage que simples accompagnateurs. Et, de tous, Zender reste peut-être le plus complémentaire, le plus humainement compatible, le plus à l’écoute. La demi-heure d’émerveillement qu’il nous offre, à la tête d’un Orchestre du SWF semblant dénué de poids, jouant d’attaques impalpables, de longueurs d’archet qui semblent infinies, de tutti diffractés d’une étrange luminosité presque surnaturelle, constitue pour le piano de Brendel un arrière-plan d’une réelle magie. Dans ce Concerto « Jeunehomme » incessamment scruté, fouillé et analysé au cours de sa longue carrière, Brendel reste fidèle à sa dernière manière, celle déjà éprouvée avec Charles Mackerras dans un enregistrement Philips de haute volée. Approche légère et dense à la fois, fondée sur des sonorités transparentes et un art du phrasé contrôlé au millième de nuance près, qui culmine dans la partie médiane du Presto final, moment de grâce suspendu hors du temps. Mais ici la plus-value apportée par Zender semble décisive, portant Brendel à un inimaginable niveau d’inspiration et d’apparente simplicité. En dépit d’un petit accident récent qui l’empêche provisoirement de se servir normalement de son bras gauche, Hans Zender a tenu quand même à diriger ce moment inoubliable et on ne l’en remerciera jamais assez.


Un seul bis, mais pour l’éternité : le Bach épuré de la transcription par Busoni du choral Nun komm der Heiden Heiland, chanté au piano comme une prière, sobre, intensément émouvante. Et après l’entracte la parenthèse des nombreux discours accompagnant la remise à Alfred Brendel du Prix Herbert von Karajan 2008, hommages successifs dont on retiendra celui de l’écrivain et critique allemand Peter Hamm, très documenté et sincère, mais aussi d’une longueur quelque peu démesurée…


La stature du soliste de la soirée a sans doute éclipsé ses deux autres volets, non moins extraordinaires cependant. Hans Zender tire de l’Ouverture Meerestille und glückliche Fahrt de Mendelssohn de miraculeux instants, aussi fascinants que la magie sonore d’un Prélude de L’Or du Rhin, la musique semblant sortir imperceptiblement du silence pour finalement retourner s’y dissoudre. Et les naïvetés de construction de la Symphonie « Tragique » de Schubert sont ici comme effacées, le discours retrouvant un naturel et une urgence qui évitent toute dispersion aux quatre mouvements de cette œuvre attachante.


Gageons que si le Festspielhaus de Baden-Baden était archi-comble, ce n’était pas essentiellement pour écouter ces moments là. Mais c’est aussi le niveau de tels faire-valoir qui permet de jauger de l’exceptionnelle qualité d’une institution : une soirée dont le Festspielhaus de Baden-Baden a tout lieu d’être fier.



Laurent Barthel

 

 

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