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Un bal mal fagoté Strasbourg Opéra du Rhin 10/19/2008 - et les 22, 26, 28, 31 octobre, 2 novembre* à Strasbourg, les 9 et 11 novembre à Mulhouse (La Filature) Giuseppe Verdi : Un ballo in maschera Massimiliano Pisapia (Riccardo), Carlos Almaguer (Renato), Barbara Haveman (Amelia), Elena Manistina (Ulrica), Hye-Youn Lee (Oscar)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Kirill Karabits (direction musicale)
Philippe Arlaud (mise en scène, décors, lumières), Inna Wöllert (collaboration aux décors), Andrea Uhmann (costumes)
(© Alain Kaiser)
Sur une affiche le nom du metteur en scène et décorateur Philippe Arlaud inspire confiance : le spectacle annoncé ne devrait pas désorienter par une relecture illisible, voire se montrer relativement prévisible. Des éclairages léchés, des oppositions vives de couleurs complémentaires, des volumes géométriques originaux et bien calculés… toutes les productions d’Arlaud se ressemblent, ce qui est plutôt une qualité, une marque de fabrique qui mérite le respect. En revanche il est fâcheux que cette reproductibilité affecte aussi les costumes d’Andrea Uhmann, mal taillés, mal fichus, d’une inventivité invariablement criarde et godiche… en un mot : hideux ! Laideur érigée en manifeste esthétique, certes, et du reste appréciée par Philippe Arlaud, qui collabore volontiers avec cette costumière allemande elle aussi très prévisible. L’agressivité du spectre coloré imposé par le metteur en scène (des rouges, des bleus et des jaunes explosifs) apporte heureusement une certaine tenue à ce cauchemar vestimentaire. Mais passons.
La scénographie de ce Bal masqué, signée par un vrai professionnel de l’opéra (espèce en voie de disparition sur les scènes internationales, au profit de débutants inexpérimentés) sauve en tout cas les meubles. Aujourd’hui, inutile de tenter d’éluder cette réalité, les faiblesses de la dramaturgie verdienne posent problème. Les chanteurs y sont confrontés à des parties exigeantes qui les empêchent d’être hyperactifs sur scène, et de surcroît le rapport entre les plan rapprochés sur les solistes et les plans larges (l’environnement choral) est impossible à résoudre. L’immuabilité du cadre de scène ne permet pas, contrairement à une captation filmée où l’on peut varier les focales et les plans, de gommer la présence physique des comparses quant la partition ne leur donne rien à faire, d’où la nécessité d’avoir à recourir à des expédients. Et pas davantage qu’un autre Philippe Arlaud ne parvient à inventer ces trucages avec un bonheur constant. L’idée de varier les découpes du cadre de scène comme s’il s’agissait d’un diaphragme d’appareil photographique est judicieuse mais reste timide, le meilleur du dispositif se trouvant plutôt dans ces volumes géométriques mobiles qui font varier à vue l’arrière-plan du plateau, au risque de le rétrécir excessivement pour certaines scènes d’ensemble. Cacher ou révéler alternativement les choristes grâce à des journaux déployés, dont la lecture semble tantôt d’un intérêt brûlant tantôt totalement accessoire, est en revanche une solution de facilité. Quant aux déhanchements des figurants quand la musique de Verdi devient rythmiquement entraînante (et de facto, il faut bien l’avouer, un rien vulgaire), on peut les trouver détestables. La référence au Tanztheater de Pina Bausch tente d’excuser beaucoup de ces faux pas mais n’y parvient pas. A vrai dire, depuis la regrettée Ruth Berghaus personne n’a bien réussi ce genre de mise en scène chorégraphiée, et il vaudrait mieux ne pas essayer de se confronter à de tels souvenirs.
Toujours dans la ligne d’excellence imposée ces dernières saisons par Nicholas Snowman, l’Opéra du Rhin a beaucoup investi dans cette production, confiée à des chanteurs bien choisis, distribution dont l’homogénéité et la qualité doivent être soulignées, surtout à une époque de chant verdien quasi-sinistré. Cela dit Carlos Almaguer n’a pas vraiment l’aisance d’un baryton Verdi, son émission trop engorgée et caverneuse, avec des résonances pas vraiment agréables, l’empêche notamment de venir à bout de son célèbre Alla vita che t’arride avec le chic nécessaire (la conclusion de cet air, pourtant invariablement payante d’habitude, est d’ailleurs accueillie par un silence glacial). Massimiliano Pisapia est un bon titulaire de Riccardo, dont il peut assumer les aspects désinvoltes avec suffisamment de souplesse vocale, mais aussi malheureusement un timbre trop fluctuant et un peu métallique. Même problème d’unité chez la mezzo-soprano russe Elena Manistina, voix géante et caverneuse, d’un impact irrésistible mais à la ligne de chant erratique. Très peu de réserves en revanche pour la prise de rôle d’Amelia par Barbara Haveman, très belle voix de soprano lyrique qui a pris du corps, et à laquelle ne manque qu’un rien de vibration humaine supplémentaire dans l’intonation pour réveiller les grands frissons provoqués par quelques grandes titulaires passées. Jolie présence, enfin, de Hye-Youn Lee dans le rôle d’Oscar, emploi sans réel problème mais brillamment tenu.
A propos de musicalité : confier un grand Verdi à un jeune chef brillant mais qui n’a jamais dirigé le moindre ouvrage de ce compositeur était un pari osé, et pas complètement gagné. Il faut souligner la performance d’un Orchestre symphonique de Mulhouse en constant progrès, désormais capable d’assumer honorablement même un ouvrage du grand répertoire romantique, la sûreté de la battue de Kirill Karabits étant sans doute décisive dans cette réussite. Mais le plateau en revanche semble abandonné, ou du moins simplement canalisé. Aucun décalage n’est à déplorer mais aucune véritable prise en main musicale n’est perceptible sur le chant, qui en reste à un alignement de notes plus ou moins généreuses en décibels. D’un tel matériel vocal, trop brut mais remarquablement riche, un véritable chef verdien, même routinier, aurait su tirer une toute autre expressivité, une toute autre richesse en phrasés (l’exemple parfait restant Riccardo Muti, capable de susciter des splendeurs d’équipes de chanteurs pourtant parfois d’une faiblesse notoire). Souhaitons à Kirill Karabits de parvenir un jour à ce degré de maîtrise. Pour l’instant son Bal masqué n’en laisse pas entrevoir grand chose, si ce n’est l’élégance de la conduite orchestrale. Mais il est sans doute trop tôt…
Laurent Barthel
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