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Berlin
Philharmonie
09/29/1999 -  et 30 septembre, 2, 3 octobre 1999
Wolfgang Rihm : In doppelter Tiefe (création)
Gustav Mahler : Das Lied von der Erde

Stella Doufexis (mezzo-soprano), Anna Larsson (alto), Deborah Polaski (soprano), Ben Heppner (ténor)
Berliner Philharmoniker, Claudio Abbado (direction)


Le mystère de l’incendie du Reichstag, le 27 février 1933, n‘a on le sait jamais été élucidé, aucun document n’ayant pu certifier de manière définitive la thèse de l’attentat contre le régime hitlérien ou du complot du NSDAP, et son auteur fut peut-être tout aussi bien un simple pyromane. Les nazis avaient eux rapidement trouvé un coupable désigné en la personne d‘un militant communiste hollandais présent sur les lieux du drame, Marinus van der Lubbe, qui malgré ses protestations d’innocence fut condamné à mort et décapité en janvier 1934. On l’enterra au cimetière de Leipzig où, selon les communiqués officiels de l’époque, il repose désormais "in doppelter Tiefe". Expression qu’on pourrait traduire par "six pieds sous terre" (comme dans Lucky Luke), mais dont le sens littéral, "sous une double profondeur", est peut-être historiquement plus éclairant. Le corps du militant fut enterré en quelque sorte aussi bien que son "âme", et l’on peut donc lire cette formule comme un avertissement envers celle encore bien vivace des opposants au régime, que suite à cet incendie dont ils se serviront comme prétexte, les nazis se chargeront en effet d’éliminer méthodiquement. Au début de cette année, la Frankfurter Allgemeine Zeitung a publié un poème de van Lubbe écrit en prison, dans une traduction allemande écrite à l’époque par l‘interprète du "tribunal du peuple", et qui jusque là était resté enfouie dans les archives du procès. Curieux texte, méditation assez fragmentaire sur la beauté "qui fut jamais" et que remplace "la pompe et le cristal". On ne pourra jamais savoir, l’original ayant été perdu, si c’est une traduction fidèle des pensées de van Lubbe. En un sens, son poème reposait donc lui aussi "in doppelter Tiefe".


C’est cette découverte qui a inspiré le compositeur Wolgang Rihm pour répondre à une commande du Philharmonique de Berlin sur le thème "50 ans de démocratie allemande". On peut se lasser de cette persistance des Allemands à vouloir ressasser leurs années les plus noires, leur histoire étant après tout loin de se limiter à douze années de nazisme. Mais le Reichstag demeure il est vrai un bâtiment charnière de ce siècle, malmené dès sa construction (Bismarck l’avait symboliquement placé hors des limites du Berlin de l’époque pour mieux asseoir son autorité), et qui ne répond finalement que depuis cette année à sa véritable vocation. De plus, on comprend très bien que le thème du double, qui hante tant de chefs-d’œuvre de l’histoire de la musique, puisse encore séduire un compositeur aujourd’hui. Rihm le traite de manière assez originale, confiant le poème à deux voix graves féminines, de tessiture un peu différente mais dont il exige une similarité de timbre, souhaitant que celles-ci se fondent en un seul "chant double" renvoyant au mystère de ce texte perdu dont il ne nous reste qu’une traduction peut-être inexacte. La ligne mélodique reste en tout cas très sobre, sans grand intervalle opératique ni déchainement rythmique, comme il convient après tout pour ces dernières pensées d’un condamné à mort. Mais l’écriture de l’orchestre est elle beaucoup plus ambitieuse, dès les premières mesures fortissimo qui clouent l’auditeur à son siège et rappellent étrangement celles de la Première Symphoniede Brahms. Tous les pupitres de l’orchestre sont constamment sollicités, et l’œuvre paraît demander beaucoup de virtuosité aux solistes, notamment aux percussions.


Cette partition est très bien défendue par un orchestre totalement investi, et qui semble jouer cette musique aussi "facilement" qu’un standard du répertoire. On se demande en revanche si la partie vocale aura vraiment comblé les souhaits du compositeur, notamment pour ce qui concerne son "chant double". Le phrasé de Stella Doufexis est très soigné, mais celle-ci arbore en effet une voix peut-être un peu légère, au timbre assez sopranisant qui ne semble vraiment s’épanouir que dans ses courts passages aigus, et que domine sans cesse en tout cas le magnifique alto d‘Anna Larsson (sympathique géante dont Claudio Abbado, du haut de son piédestal, dépasse à peine les épaules !), lui très corsé et parfaitement homogène jusqu’au mi grave.


Après ces plongées abyssales, les musiciens souhaitaient donc retrouver la terre ferme en nous jouant le grand poème dionysiaque de Mahler, œuvre qui présente par ailleurs quelques parentés avec celle de Rihm, notamment pour le traitement "symphonique"des voix (auxquelles les instruments solistes volent parfois la vedette). L’interprétation du Philharmonique de Berlin en fut absolument magistrale, Abbado trouvant le parfait équilibre entre le souci du détail (important pour cette partition si colorée) et un souffle large, presque épique, qui par moments nous ferait presque oublier le célèbre enregistrement de Bruno Walter. Que la succession s’annonce difficile pour l’analytique Simon Rattle, s’il veut maintenir cet orchestre à un tel niveau d’expressivité ! Parmi les premiers solistes on distingue une excellente flûte et un émouvant violoncelle, mais surtout le hautbois (Albrecht Meyer) qui s’acquitte à la perfection de ses envoûtantes mélopées pentatoniques des deuxième et sixième morceaux, les rapprochant intelligemment de la grande partie de cor anglais au début du troisième acte de Tristan et Isolde.


Face à un tel orchestre, on a forcément envie de chercher la petite bête aux chanteurs, peut-être aussi parce qu’ils sont deux vedettes. Dans cette partition trop grave pour elle, Deborah Polaski a le mérite de ne pas forcer sa voix et de conserver jusqu’au bout sa belle couleur de soprano, mais qui semble malgré tout ici un peu exotique et qu’on aurait volontiers troquée contre le vrai alto d’Anna Larsson. De plus, peut-être un peu trop habituée à donner du volume dans ses rôles wagnériens, la cantatrice américaine éprouve quelques difficultés à chanter piano, notamment sur le plan de la justesse. Elle se rattrape heureusement sur la fin, et conclut son grand air par un "...ewig..." très expressif, qui ne parvient tout de même pas à nous faire oublier celui de Kathleen Ferrier ! Ben Heppner, rompu lui aussi aux grands rôles héroïques, domine évidemment toutes les difficultés vocales de la partie de ténor, mais pourrait de temps en temps varier son phrasé. Un peu perdu dans l’orchestre entre les contrebasses et les trombones, il semble parfois se contenter de garder sa ligne de chant, séduisante certes, mais son interprétation reste dans l’ensemble beaucoup trop sage pour exprimer l’angoisse résolue de ses chansons à boire ("Mais toi, homme, combien de temps te reste-t-il à vivre ? Guère plus de cent années te sont accordées pour que tu te réjouisses de toutes les babioles pourries de cette terre !").



Thomas Simon

 

 

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