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Boulez sourit Paris Salle Pleyel 11/03/2008 - et 29 octobre 2008 (Wien) Gustav Mahler : Des Knaben Wunderhorn (extraits) – Symphonie n° 4
Dorothea Röschmann (soprano)
Staastkapelle Berlin, Pierre Boulez (direction)
(© Monika Rittershaus)
Depuis plusieurs saisons, la Staatskapelle de Berlin a mis à son répertoire une intégrale des Symphonies de Mahler que deux chefs se partagent: Daniel Barenboim, Generalmusikdirektor et «chef à vie», a déjà donné les Cinquième, Septième et Neuvième à Paris en octobre 2006 (voir ici et ici). Cette fois-ci, la formation berlinoise, de retour de Vienne où le cycle complet est donné en deux temps en 2008-2009 (automne et printemps), est dirigée par Pierre Boulez dans la Quatrième (1900): première apparition dans la capitale de celui qui sera particulièrement à l’honneur au cours des prochaines semaines, notamment à l’Auditorium du Louvre, où débute bientôt, autour de l’exposition «Pierre Boulez. Œuvre: Fragment» présentée au musée, un vaste cycle de concerts, de conférences, de musique filmée mais aussi de conférences, débats et colloques.
En 1939, Ninotchka de Lubitsch fut lancé avec le slogan «Garbo rit!», tant cette expression paraissait incongrue chez la froide et imperturbable Suédoise. Dans ce programme d’une cohérence toute boulézienne – la première partie étant consacrée à six extraits du Knaben Wunderhorn (1892-1899), terreau des quatre premières symphonies et même source du finale de la Quatrième – à défaut de rire, du moins fallait-il sourire, tant ces pages sont le plus souvent d’un caractère inhabituellement radieux et sans nuage dans l’œuvre du compositeur.
Avec le sourire mais, Boulez oblige, sans futilité, même dans les lieder légers ou humoristiques («Rheinlegendchen», «Verlor’ne Müh», «Wer hat dies Liedlein erdacht?», «Lob des hohen Verstandes»). En ce sens, Dorothea Röschmann, qui fait par ailleurs admirer une belle justesse, des aigus assurés, une ligne de chant sans vibrato excessif, un timbre charnu, un souci de varier les couleurs, une puissance appréciable dans cette acoustique assez peu favorable aux voix et une parfaite maîtrise, jusque dans une laideur et une trivialité très étudiées – apparaît en décalage avec un accompagnement moins appuyé, plus distant et subtil, d’une rare transparence («Das irdische Leben»), avec un effectif il est vrai allégé (quarante cordes), et se refusant – sans surprise – à toute facilité. L’orchestre manifeste d’emblée sa forte personnalité, avec des bois fruités à souhait (hautbois, clarinette) et des cuivres d’une remarquable précision (cor et trompette dans «Wo die schönen Trompeten blasen»).
Dans la Quatrième, plutôt qu’une confortable nostalgie mozartienne et viennoise, Boulez impose une lumière crue, véritable radiographie qui semble parfois peiner à trouver son sens dans le premier mouvement. Mais ce qui pourrait tenir d’une attitude prudente ou timorée, manquant de souplesse, se révèle peu à peu comme une volonté de construire des gradations d’une formidable efficacité, comme dans le développement, au moment de la réexposition du second thème ou dans la coda, menée avec une cinglante virtuosité. Un peu lent, le deuxième mouvement est, après tout, marqué «Ohne Hast»: l’ironie s’y fait grinçante, avec le solo de violon plus faux que nature du Konzertmeister Wolf-Dieter Batzdorf.
Le sommet est atteint dans le troisième mouvement, un «Ruhevoll» assez allant, sans artifice, cultivant la grâce et la simplicité davantage qu’un lyrisme langoureux ou des ralentis complaisants: l’intensité, la limpidité et l’éclat du diamant – musiciens et public ont déjà rejoint le paradis que décrit le lied final. Mais c’est d’un paradis bien terrestre qu’il s’agit dans le poème du Knaben Wunderhorn, à l’image d’une Dorothea Röschmann, plus terre-à-terre et théâtrale que naïve ou désincarnée. Ovation – debout – qui salue sans doute d’abord le chef, mais dans laquelle la Staatskapelle Berlin, allant au-delà de l’excellente impression laissée voici deux ans, a également toute sa part.
Le site de la Staatskapelle de Berlin
Simon Corley
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