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Des Contes du jour et de la nuit Geneva Grand Théâtre 10/19/2008 - Et les 22 & 25 octobre, 2, 6 & 9 novembre Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann Marc Laho (Hoffmann), Stella Doufexis (La Muse/Nicklausse), Nicolas Cavallier (Lindorf/Coppélius/Miracle/Dapertutto), Eric Huchet (Andrès/Cochenille/Frantz/Pitichinaccio), Patricia Petibon (Olympia), Rachel Harnisch (Antonia), Maria Riccarda Wesseling (Giulietta), Nadine Denize (la Voix de la mère d’Antonia), Francisco Vas (Spalanzani), Bernard Deletré (Schlémil), René Schirrer (Luther), Gilles Cachemaille (Crespel), Bisser Terziyski (Nathanaël), Romaric Braun (Hermann), Delphine Beaulieu (Stella)
Chœur du Grand Théâtre, Ching-Lien Wu (chef de chœur), Orchestre de la Suisse Romande, Patrick Davin (direction)
Olivier Py (mise en scène et lumières)
Marc Laho (Hoffmann) (© GTG/Isabelle Meister)
Redite, ce décor noir, avec cette multitude de lampes ? Redite, ces panneaux qui coulissent pour figurer le vertige d’Hoffmann ? Redite, ces costumes sombres et ces hauts de forme, toujours signées Pierre-André Weitz ? Plutôt, une fois de plus, la signature d’Olivier Py, sa carte de visite. Et il faut voir ces Contes d’Hoffmann comme un volet de sa « trilogie diabolique », où il interroge Dieu et Satan à travers le romantisme allemand, Hoffmann devenant le frère du Max du Freischütz et du Faust de La Damnation. Cette obscurité, peuplée de masques mortuaires, de squelettes, c’est la nuit des rêves et des fantasmes d’Hoffmann, hantée par la Femme identifiée à l’art et à la mort. Dès le début, le ton est donné : deux faunes nus posent un des masques sur le visage d’Hoffmann. Un Hoffmann revu et corrigé par le Second Empire, qui croit, grâce à la science, pouvoir donner vie à Olympia, interdit à Antonia de réaliser sa vocation d’artiste, se vautre dans le bordel vénitien de Giulietta. Dans ce monde-là, le diable n’a plus besoin de cornes ou d’habit rouge, il lui suffit d’être à son tour en costume sombre, comme un mauvais génie, comme un double maléfique du héros : n’est-ce pas, d’ailleurs, grâce à lui, non pas malgré lui, que Hoffmann va créer et transformer ces illusions en œuvre d’art ?
Bref, Olivier Py persiste et signe, sans se cantonner à l’abstraction, arrivant à intégrer l’illustratif au symbolique, comme lorsque, dans l’acte de Munich, on met déjà en bière le cadavre d’Antonia ou qu’un cheval de corbillard traverse la scène, avant que, à la fin, la scène ne s’embrase quand « une flamme éblouit ses yeux ». Le metteur en scène ne dédaigne pas les effets spéciaux, a un penchant pour le spectaculaire, signant là une de ses mises en scène les plus virtuoses, où la lumière joue un rôle aussi important que la direction d’acteurs : Les Contes, après tout, sont un opéra fantastique et Offenbach ne dédaignait pas l’opéra-féerie. La virtuosité, heureusement, se met au service du sens, d’une vision remarquable de cohérence, sans complaisance également : les diverses pratiques mises à nu – c’est le cas de dire – chez Giulietta Ange bleu, avec un Schlémil travesti maso, restent sobrement traitées. Et la production, émaillée de clins d’œil, où Luther sort tout droit du cortège de Dionysos, ne manque ni d’humour ni de légèreté, comme dans l’Air de la poupée, qui rappelle les numéros coquins qu’on pouvait voir jadis au music-hall.
Virtuose, Patrick Davin l’est beaucoup moins. Le premier acte souffre de décalages criants et il échoue à trouver les couleurs d’Offenbach à la tête d’un orchestre qui sonne beaucoup trop épais. Les choses s’améliorent progressivement, l’équilibre s’installe par rapport à la scène, les musiciens se dérident ; à partir de l’acte d’Antonia, on entre enfin dans la poésie et le mystère de la partition, l’acte vénitien est très réussi. Si Marc Laho ne séduit ni par le timbre, un peu dur et un peu monochrome, ni par le raffinement, il assume sans fatigue le rôle écrasant d’Hoffmann ; l’articulation est exemplaire et, surtout, absolu le respect des canons du style français, la voix se projetant parfaitement. Malgré une certaine grisaille dans le timbre, le style français s’incarne de même en Nicolas Cavallier, quatre fois vilain, qui n’en fait jamais trop, plus grand seigneur méchant homme que diable cornu, dont le venin se distille avec plus de morgue de hargne. Parfois contestable, Patricia Petibon est une mémorable Olympia, pas si poupée au fond, pas rossignol en tout cas, même dans les vertigineuses vocalises de la reprise de la fameuse Chanson. Très belle Antonia de Rachel Harnisch aussi, par la rondeur et la richesse du timbre, la qualité du style et de d’une caractérisation émouvante. Maria Riccarda Wesseling, en revanche, peine à phraser la partie de Giulietta, handicapée de surcroît par des stridences peu compatibles avec une séductrice. Un rien sèche de voix, Stella Doufexis s’acquitte plutôt bien de la Muse et de Nicklausse, eu égard l’homogénéité relative de sa tessiture. Les rôles secondaires sont fort bien tenus, même si Nadine Denize et Gilles Cachemaille ne peuvent plus dissimuler l’usure des années ; Eric Huchet, en particulier, fait juste ce qu’il faut pour être comique sans devenir ridicule ou sans cesser de chanter. Fidèle au poste, Ching-Lien Wu prépare toujours remarquablement le chœur.
On a choisi la version Oeser : réduite par Choudens à la portion congrue, Giulietta, par exemple, existe vraiment et chante « Qui connaît la souffrance » ; Nicklausse a droit, au troisième acte, à la belle Romance « Vois sous l’archet frémissant » - avec violon concertant ; Dapertutto interprète « Scintille diamant » sur la vraie musique d’Offenbach – celle qui, chez Choudens, revenait à Coppélius pour « J’ai des yeux, de vrais yeux » dans le deuxième acte, où l’on entend ici le Trio des yeux ; le cinquième acte s’achève sur l’Apothéose « Des cendres de ton cœur », hymne à la rédemption par l’amour et la souffrance – axe essentiel de cette « trilogie diabolique », qui inaugure en beauté la dernière saison de Jean-Marie Blanchard. Avec les années, celui-ci aura gagné son pari : le metteur en scène, qu’on eût naguère copieusement hué, est applaudi à tout rompre.
Didier van Moere
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