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Panorama Prokofiev Paris Salle Pleyel 10/13/2008 - Serge Prokofiev : Symphonies n° 1, opus 25 «Classique» – Concerto pour piano n° 2, opus 16 – Symphonie n° 6, opus 111
Vladimir Feltsman (piano)
London Symphony Orchestra, Valery Gergiev (direction)
Valery Gergiev (© Frédérique Toulet/Salle Pleyel)
Habitués des lieux, l’Orchestre symphonique de Londres et son chef principal présentent, salle Pleyel, un cycle de quatre concerts consacré aux symphonies de Prokofiev (les Première, Deuxième, Sixième et Septième en octobre, les autres en mai) et à une sélection de concertos avec des solistes prestigieux : Lang Lang, Vadim Repin, Leonidas Kavakos et, pour le premier concert, Vladimir Feltsman. L’ancien dissident soviétique ne se produit pas si fréquemment à Paris, là où il remporta en 1971 le grand prix du concours Long-Thibaud. Est-ce ce souvenir de victoire qui a transformé son interprétation du Deuxième concerto pour piano en un show ponctué d’œillades complices en direction du public et achevé debout, les bras écartés en grand vers la salle ? Public ravi, notamment par le bis : le Prélude en si mineur (BWV 855a) de Bach, extrait du Klavierbüchlein für Wilhelm Friedemann Bach (1720) et arrangé par Alexandre Siloti. Mais show finalement assez fade de la part d’un pianiste qui ne parvient pas à intéresser dans une œuvre dont il a laissé, il y a une dizaine d’années, un enregistrement d’une veine comparable, réalisé avec le même orchestre (… alors dirigé par Michael Tilson Thomas… chef qui l’accompagnera, en avril prochain à Pleyel, dans le Premier concerto de Tchaïkovski).
L’extraordinaire premier mouvement bénéficie d’une frappe certes sûre mais qui manque cruellement du poids et de la densité nécessaires pour faire varier les atmosphères et créer des contrastes. La si difficile cadence est servie par des moyens techniques adaptés (malgré quelques notes qui tombent à côté) mais handicapée par une approche trop sobre sinon terne. Parfois bissé tant sa maestria peut impressionner, le Vivace – pris bien lentement – suscite l’ennui. Le pianiste scandant les mélodies et les rythmes avec platitude, l’Intermezzo. Allegro moderato marque surtout par les accents sauvages du fauve Gergiev, et le Finale par l’excellence des cuivres. L’impression générale demeure celle d’une exécution pianistique lisse et désincarnée, qui rend nostalgique des grands interprètes des concertos de Prokofiev, tels Vladimir Krainev ou Kun-Woo Paik (ce dernier étant amené, en janvier prochain, à interpréter le même concerto dans la même salle). Au contraire, l’orchestre – impeccable, voire grandiose – est conduit par un chef familier de l’œuvre et dont on regrette qu’il n’ait pas trouvé, avec Vladimir Feltsman, une harmonie comparable à celle établie avec Alexander Toradze (voir ici), pianiste iconoclaste, souvent contestable, mais autrement plus intéressant dans ce répertoire.
En sus du Deuxième concerto pour piano (1913/23), le premier programme du cycle Prokofiev du LSO offrait un panorama déjà très complet de l’évolution du style du compositeur russe : de la Première (1917) à la Sixième symphonie (1947), en passant par la spectaculaire et passionnée Mort de Tybalt, extraite de Roméo et Juliette (1935), généreusement offerte en bis et interprétée avec grandeur et passion. On louera également l’exécution remarquable des deux symphonies, aussi réussie – quoique moins parfaite dans sa réalisation – que lors de l’intégrale enregistrée par la même équipe en 2004 et publiée il y a deux ans.
Ouvrant le concert, la Première symphonie se développe à partir d’un Allegro au cours duquel la cohérence des cordes ne s’impose – non sans humour – que progressivement. Lui succèdent un Larghetto et une Gavotta. Non troppo allegro un peu somnolents, faisant d’autant mieux apparaître le contraste avec un Molto vivace joyeux et léger, guilleret et bondissant (… tout comme le chef sur son estrade) et surtout très virtuose. Quant à la Sixième symphonie, l’approche reste d’un engagement et d’une évidence tout à fait aboutis, le premier mouvement exaltant une atmosphère grandiose de fin du monde, entre mystère et malaise. D’une grande intensité, le Largo laisse s’échapper des cris désespérés, de la douleur, du pathos, quitte à étirer certains tempos. Parvenant à faire sonner les fortissimos tout en ménageant des silences terrifiants, Gergiev l’enchaîne, sans pause mais sans précipitation, au Finale, au terme d’une conception à la fois exigeante et orgiaque.
Le site de Vladimir Feltsman
Gilles d’Heyres
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