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Macbeth les pieds sur terre Paris Opéra Bastille 02/03/1999 - et 6*, 10, 15, 18, 21, 24, 26 février, 2, 5, 9 mars 1999 Giuseppe Verdi : Macbeth Jean-Philippe Lafont (Macbeth), Maria Guleghina (Lady Macbeth), Claudia Pallini (Suivante), Carlo Colombara (Banco), Franco Farina (Macduff), Marco Berti (Malcolm), Nicolas Testé (Médecin)
Phyllida Lloyd (mise en scène), Anthony Ward (décors et costumes), Hugh Vanstone (lumières), Jonathan Lunn (chorégraphie)
Choeurs et Orchestre de l'Opéra National de Paris, Gary Bertini (direction) Pour ses débuts à l'Opéra de Paris, Phyllida Lloyd semble avoir bien intégré une certaine esthétique maison illustrée par Carsen et Zambello : couleurs high-tech, effets spectaculaires qui soutiennent l'attention, direction d'acteurs claire et dispositif scénique favorable à l'acoustique. Si la réussite n'égale pas celle de Nabucco par exemple, c'est sans doute que Macbeth exige un mystère, un fiel, une odeur de stupre difficiles à recréer dans les conditions du grand répertoire, d'autant que Verdi lui-même hésite en permanence entre transgression et respect des codes. C'est à juste titre que les sorcières deviennent ici le moteur de l'action ; comment éviter néanmoins que leur présence trop palpable, trop concrète sur le plateau n'entrave la dimension surnaturelle inhérente à l'œuvre ? Et si Lloyd a judicieusement axé sa dramaturgie sur les thèmes centraux de la filiation et de la stérilité, les chanteurs ne savent pas tous traduire le drame intérieur qui habite leurs personnages, et l'intérêt se concentre en fin de compte sur leurs qualités vocales.
Lafont est peut-être le plus proche de l'idéal, recréant avec finesse le mélange de violence, de faiblesse et d'indécision de l'usurpateur. Les couleurs du timbre, moins franches que par le passé, servent bien cette optique, les registres ne lui posent aucun problème majeur, l'expressivité de la diction et de la dynamique achevant de faire de son Macbeth l'une de ses meilleures incarnations verdiennes. La tessiture confortable de Guleghina se place légèrement plus haut que celle de la Lady, et la conduit à se priver d'une certaine liberté dans le médium afin de ne pas ouvrir dangereusement l'émission. Bien qu'avare en consonnes, l'artiste affronte sans tricher des pages virtuoses qui mettent à mal l'intonation de l'aigu, et déploie cette puissance sonore, cette ampleur de la phrase dont l'impact physique est toujours indéniable. Elle fait l'effort de chanter piano et de rechercher des demi-teintes égarées dans la scène somnambulisme, et si le caractère barbare demeure un peu générique, si le mélange de sex-appeal et de répulsion que doit exercer Lady Macbeth lui reste étranger, c'est sans doute une question de tempérament profond. Inutile d'attendre de Colombara et de Farina des blessures et de l'émotion, mais la sûreté technique, la pertinence globale du style ne leur font pas défaut. Réunir un quatuor vocalement idoine pour Macbeth n'est jamais une mince affaire - on ne va donc pas bouder son plaisir.
Seconds rôles, choeurs et orchestre témoignent des mêmes qualités objectives : une fois encore, Gary Bertini brille par la rigueur de sa mise en place, la cohérence des rapports de tempo, l'énergie naturelle de sa narration. De bout en bout la soirée sera robuste, sans malaise, positivée. Shakespeare n'en demande pas tant, mais Verdi en ces années là pouvait-il nous donner les moyens de faire autrement ?
Vincent Agrech
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