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Conte cruel : Rusalka au bordel

Salzburg
Haus für Mozart
08/17/2008 -  et 20, 23, 26, 28 août 2008
Antonin Dvorák : Rusalka
Piotr Beczała (le Prince), Emily Magee (la Princesse étrangère), Camilla Nylund (Rusalka), Alan Held (l’Ondin), Birgit Remmert (Jezibaba), Adam Plachetka (le Garde forestier), Eva Liebau (le Marmiton), Daniel Schmutzhard (le Chasseur), Anna Prohaska, Stephanie Atanasov, Hannah Esther Minutillo (les Nymphes des bois)
Chœur de l’Opéra de Vienne, Orchestre de Cleveland, Franz Welser-Möst (direction)
Jossi Wieler et Sergio Morabito (mise en scène)


On se doutait, après la sulfureuse Ariane à Naxos de 2001, avec Natalie Dessay, que Jossi Wieler et Sergio Morabito proposeraient de Rusalka une lecture décoiffante. Plus de nature, plus de poésie, sinon dans l’imaginaire de l’héroïne, concrétisées par des projections vidéo. Rusalka n’est plus qu’une petite fille encore attachée à ses peluches, avec une queue de sirène, qui pourtant rêve d’amour et veut passer à l’âge adulte, quitte à rompre avec son père. Tout est revu à la lumière de Freud et des traités de Paracelse, qui postulait la possibilité, pour certaines créatures, d’acquérir une âme et donc d’être sauvées. Le prince s’est mué en malade aux tendances suicidaires, qui sombre dans une folie, que le baiser de mort guérira ; Rusalka, suicidaire elle aussi, mourra de sa propre main, brandissant une croix. Mais la réalisation scénique est d’une totale opacité, avec ce décor unique, volontairement kitsch et fort laid, tenant de la maison close, avec des ondines lascives aux airs de Filles du Rhin. Toute la dimension comique, incarnée par le Chasseur et le Cuisinier, se trouve également évacuée, même si Ježibaba, curieusement, vieille droguée handicapée, se chargerait volontiers d’entreprendre le cuistot. Cela ne fonctionne pas mal au premier et au deuxième actes, où le mutisme de Rusalka se traduit par des troubles du comportement, mais finit par ennuyer au troisième. A Paris, Robert Carsen avait opté pour une lecture psychanalytique, mais il avait ouvert grandes les portes du rêve et de la poésie lunaire (lire ici et ici). Jossi Wieler et Sergio Morabito les ont implacablement fermées, parce qu’ils s’en sont tenus à l’histoire, comme si le cadre et l’atmosphère importaient peu ; en voulant donner trop de corps à ces personnages qui ne sont que des types, en les associant à une histoire de sorcellerie, en réduisant tout ou presque au sexuel, ils ont privé l’œuvre de sa substance et de sa fraîcheur. Ils ont cru prendre de la distance et ils se sont enferrés. Cette Rusalka a d’ailleurs été, paraît-il, la production la plus huée du festival.


Musicalement, on se satisfait davantage. Franz Welser-Möst, à la tête de son orchestre de Cleveland, fouille la partition dans ses détails et lui imprime par sa direction volcanique une tension extraordinaire, faisant du conte un drame incandescent, attentif aux couleurs mais un peu trop en phase avec la production sur la dimension onirique de l’œuvre, qui passe au second plan. On regrette de toute façon que l’on donne de tels opéras dans le Haus für Mozart – hier Kleines Festspielhaus – dont l’acoustique sèche et sonore fait vibrer trop fort les grandes masses orchestrales. Camilla Nylund est loin d’avoir le timbre liquide que l’on attended de la nymphe des eaux, l’Hymne à la lune manque de mystère et il y a chez elle des acidités, surtout dans les passages les plus dramatiques. Elle compense ces défauts par une interprétation engagée et émouvante, en accord avec la lecture des metteurs en scène. Piotr Beczała, en recanche, prend dignement la succession de son compatriote Wiesław Ochman, avec une voix solide et lumineuse, nullement gêné par les aigus d’un rôle aussi terrible que certains emplois straussiens, où la frontière entre le registre lyrique et le registre héroïque est souvent franchie dans les deux sens. Beaucoup commencent vaillamment puis fatiguent ; le ténor polonais arrive à la fin en parfaite santé vocale, après avoir donné du prince une image névrotique et tourmentée sans jamais sacrifier la beauté du chant. Emily Magee, dont la voix s’est corsée et élargie, ne fait pas la mégère en Princesse étrangère, mais a de la présence et du venin. Alan Held est un bel Ondin, un rien sec de timbre, ce qui ne messied pas à l’image qu’en donne le spectacle de père plus possessif que tutélaire, alors que Birgit Remmert, n’étaient quelques aigus laborieux, fait valoir en Ježibaba un timbre sombre et riche de sorcière bien chantante. Les autres rôles sont bien tenus, quitte à présenter des nymphes au timbre peu cristallin. Le bordel, heureusement, offrait des plaisirs musicaux.



Didier van Moere

 

 

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