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Fugue à trois voix

Bayreuth
Festpielhaus
07/25/2008 -  et 3, 6*, 10, 16, 28 août 2008
Richard Wagner : Parsifal
Detlef Roth (Amfortas), Diógenes Randes (Titurel), Kwangchul Youn (Gurnemanz), Christopher Ventris (Parsifal), Thomas Jesatko (Klingsor), Mihoko Fujimura (Kundry), Arnold Bezuyen, Friedemann Röhlig (Chevaliers du Graal), Julia Borchert, Ulrike Helzei, Clemens Bieber, Timothy Oliver (Ecuyers), Julia Borchert, Martyina Rüping, Carola Gruber, Anna Korondi, Jutta Maria Böhnert, Ulrike Helzel (Filles fleurs), Simone Schröder (alto solo)
Chœur et Orchestre du Festival, Daniele Gatti (direction) Stefan Herheim (mise en scène)


(© Bayreuther Festspiele GmbH/Enrico Nawrath/2008)


1966 : à la mort de Wieland Wagner, Wolfgang devient le maître de la Colline verte. Son long règne, traversé de fortes tempêtes, s’achève bientôt et l’on saura enfin qui aura gagné la guerre de succession. Ses filles Katharina et Eva, comme on le murmure de plus en plus ? Il faudra en tout cas donner un nouveau souffle au festival. Non que Wolfgang l’ait enlisé dans la tradition : si lui-même est conservateur, il a invité les metteurs en scène les plus iconoclastes, de Patrice Chéreau à Christoph Schlingensief, de Götz Friedrich à Harry Kupfer. Certaines productions ont fait date, d’autres n’ont pas laissé de traces : c’est la loi du genre. Mais on a souvent eu le sentiment que la fine fleur du chant wagnérien du moment ne se retrouvait plus à Bayreuth, que les baguettes étaient routinières. Son dernier festival laisse une impression mitigée. Il ne proposait d’ailleurs que des reprises, celles du Tristan de 2005 (Christoph Marthaler), des Maîtres chanteurs de 2007 (Katharina Wagner) et celle de la Tétralogie de 2006 (Tankred Dorst), à l’exception de Parsifal, confié au jeune et aventureux Stefan Herheim.


Après le massacre de L’Enlèvement au sérail à Salzbourg en 2003 (lire ici et ici), on pouvait tout craindre de cette nouvelle production. On avait tort. Le metteur en scène norvégien, cette fois, n’a commis ni contresens ni non -sens : il a plutôt péché par excès de sens. Histoire d’une conscience individuelle née avec la mort de la mère, montrée dès le Prélude, histoire d’une nation secouée par les guerres et la barbarie, histoire du wagnérisme lui-même : ce Parsifal est une fugue à trois voix. Elles ont parfois du mal à se rejoindre, tant le spectacle accumule symboles et références, et rend parfois l’œuvre plus opaque que lisible. On commence à Wahnfried avant de finir au Bundestag, en passant par une sorte d’hôpital pour blessés de guerre, à la fois bordel militaire de campagne et cabaret berlinois des années trente, où trône une Kundry Ange bleu. Pas vraiment monstrueuse, la magicienne se trouve toujours identifiée à la blondeur virginale d’une mère qui aurait plutôt un côté Elsa – et Marie-Madeleine -, tout aussi omniprésente que l’enfant en costume marin. Tout cela s’avère d’ailleurs ambigu : le Parsifal salvateur ne manque pas d’être blond lui aussi, figure christique rappelant aussi Charlemagne – mais ce Charlemagne ne ressemblerait-il pas à Louis II ? – vêtue de probité candide et de lin blanc, venu relayer un Amfortas qui, avec sa tête couronnée de clous, incarnait lui-même un Christ souillé par le péché. Cette fin montre surtout l’aigle restauré de la nation allemande, symbole toujours présent à travers ces ailes que portent tous les personnages, purs ou dévoyés, comme Klingsor transformé en drag-queen. On retrouve aussi une histoire de la mise en scène wagnérienne, de la création au Nouveau Bayreuth. Stefan Herheim adopte le parti inverse de Krzysztof Warlikowski (lire ici): autant le Polonais, quelque discutable soit-il, reste concentré, très attaché à la direction d’acteurs, autant le Norvégien privilégie le mouvement, une virtuosité un peu dispersée, non sans un grain d’humour distancié parfois. Avec des moments assez forts, comme lorsque des drapeaux nazis s’élèvent à la fin du deuxième acte, suscitant quelques remous au sein du public, ou que la salle éclairée, notamment au troisième acte, renvoie, à travers un miroir, sa propre image au public allemand : lui aussi est racheté.


Rien de si iconoclaste dans tout cela, malgré les apparences, plutôt un exercice assez brillant, qui distrait un peu de la musique faute d’une distribution exceptionnelle. Les chanteurs ont beau former un ensemble homogène, ils restent moyens en dépit de prestations parfois très honorables. Seul émerge vraiment, surtout à partir de la scène avec Kundry, le Parsifal de Christopher Ventris, plus assuré qu’à Paris, à la fois clair et mâle de timbre, plus innocent que tourmenté, déjà Lohengrin finalement. Kwangchul Youn s’avère plus scrupuleux qu’inspiré, malgré un raffinement certain dans le phrasé, dépourvu malgré tout de l’humanité rayonnante de Gurnemanz, surtout pendant l’enchantement du Vendredi saint. Detlef Roth passe bien la rampe en Amfortas stylé, sans porter à l’incandescence la souffrance du roi blessé, alors que le Klingsor impeccable de Thomas Jesatko manque un peu de noirceur démoniaque. Mihoko Fujimara, elle, n’est aucunement Kundry : peu présente dans le premier et le troisième actes, à la fois si faciles et si difficiles, elle a du mal à s’identifier à l’étrangeté sauvage de la magicienne comme à sa tendresse cachée, courte de voix, surtout dans le médium et dans le grave, forçant ses aigus.


On ne reprochera pas ses lenteurs à Daniele Gatti – le plus lent sur la Colline fut un autre Italien, nommé Toscanini, le nouveau chef du National se situant entre ce dernier et Knappertsbusch 1951, avec une heure de plus que Boulez 1966 : le tempo, de toute façon, compte moins que la façon dont on l’assume. Il dirige de toute évidence ce « festival scénique sacré » que le metteur en scène a voulu démythifier, auquel il confère une dimension chambriste, avec une très belle pâte sonore et des combinaisons de timbres raffinées, exploitant subtilement l’acoustique du Festspielhaus – pour lequel Parsifal fut composé. Il éprouve cependant quelque difficulté à tendre l’arc du premier acte et le deuxième pourrait être plus dramatique. C’est le troisième qui justifie pleinement les options du nouveau venu à Bayreuth, très heureux dans le passage de l’ombre à la lumière mystique, du péché au salut.



Didier van Moere

 

 

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