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La Roque

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Nuit blanche

La Roque
Parc du château de Florans
08/01/2008 -  
Béla Bartok : Contrastes, sz. 111
Johannes Brahms : Trio pour clarinette, violoncelle et piano, opus 114 – Sonate pour violoncelle et piano n° 2, opus 99
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonate pour piano n° 15, K. 545 (arrangement Edvard Grieg) (#)
Maurice Ravel : La Valse (#)
Serge Rachmaninov : Suite pour deux pianos n° 2, opus 17 (#)

Evgueny Petrov (clarinette), Pavel Sporcl (violon), Alexander Kniazev (violoncelle), Nikolaï Lugansky, Vadim Rudenko (#) (piano)



N. Lugansky (© Metis/Warner Classics)



Nikolaï Lugansky est omniprésent cette année à La Roque d’Anthéron: après deux Concertos de Rachmaninov avec l’Orchestre philharmonique de l’Oural, avant un récital avec Vadim Repin, le pianiste russe se voit offrir une «carte blanche» qui prend place dans le cadre d’une «nuit du piano», l’un des concepts les plus attrayants du festival. Un festin où, comme un pied-de-nez au château de Florans qui abrite une clinique diététique, la boulimie n’est pas loin: comme le baron de Gondremarck dans La Vie parisienne, tout le monde vient pour «s’en fourrer jusque là», y compris au cours du premier entracte consacré, sur le coup de 21 heures, aux agapes, pique-niques et autres plateaux repas. Et, entre «carte blanche» et «nuit du piano», ce fut également une nuit blanche, cet enchaînement de trois concerts ayant débuté à 20 heures pour s’achever peu après minuit et demie.


Lugansky accomplit – apparemment sans effort – l’exploit de rester en scène durant toute la soirée, à une exception près, mais ne se met jamais en avant, se produisant toujours en compagnie d’un ou deux des quatre partenaires qu’il s’est choisis pour ce marathon musical. Il débute par les Contrastes (1938) de Bartok, un répertoire dans lequel on a guère l’habitude de l’entendre: de fait, son élégance en donne sans doute une image trop lisse. Du coup, c’est le clarinettiste Evgueny Petrov qui donne vie au trio; quant à Pavel Sporcl, le (Nigel) Kennedy tchèque, cultivant son look – violon turquoise et catogan –, on se dit que son instrument est moins adapté que les deux autres pour jouer En plein air – titre d’une autre œuvre du compositeur qu’il aurait été idéal de donner au milieu des cigales et du vent dans les arbres. Dans le Trio pour clarinette, violoncelle et piano (1891) de Brahms, l’équilibre semble plus satisfaisant, car Alexander Kniazev, ne se montre jamais avare de puissance et de générosité, le cœur sur la main mais (ab)usant de portamenti imprécis. A ses côtés, on admire en revanche le jeu riche et apollinien de Lugansky et la ductilité des phrasés de Petrov.


La deuxième partie commence par la Quinzième sonate (1788) de Mozart, interprétée par Lugansky. Mais Vadim Rudenko, au second piano, y superpose une partie entièrement nouvelle écrite par Grieg: un exercice de style à la manière de l’Ave Maria de Gounod et une rareté qui tiennent en même temps de la bizarrerie, voire de la maladresse, tant les harmonies et contrechants inattendus ajoutés par le Norvégien déroutent les habitudes d’écoute et provoquent de curieux anachronismes stylistiques. Trop affectée, avec un tempo ne cessant de faire le yoyo, La Valse (1920) de Ravel, qui tourne en une toccata échevelée mais dépourvue de folie ou de noirceur, laisse place à une Seconde suite (1901) de Rachmaninov qui trouve quant à elle une respiration beaucoup plus naturelle, pour ne pas dire idéale: «Introduction» festive, «Valse» légère, «Romance» lyrique à souhait, «Tarentelle» agile. En bis, et par cœur, la «Barcarolle», premier mouvement de la Première suite «Fantaisie-tableaux» (1893), est idéalement suave et entêtante.


Sans partition, lui aussi, Kniazev aborde la Seconde sonate (1886) de Brahms de façon totalement déchaînée: rugissements rauques, raclements furieux, vibrato démesuré, expression hallucinée, dérapages de justesse, tout cela se situe exactement aux antipodes de son partenaire, non seulement plus orthodoxe, mais aussi autrement plus lucide, tempérant et mesuré. Pour la suite, c’est un «programme surprise» qui était annoncé: à l’immense joie du public, qui approuve bruyamment des pieds sur les tribunes métalliques, les musiciens reviennent donc l’un après l’autre se mettre en valeur, «accompagnés» par Lugansky – les guillemets simplement pour souligner que le pianiste est souvent lui aussi mis à rude épreuve dans ces pages.


Sporcl a choisi la «Méditation» de Thaïs (1894) de Massenet, charmeuse mais allante, puis les brefs et virtuoses Perpetuum mobile d’Ottokar Novacek (1866-1900) et Hejre kati, quatrième des Scènes de la csarda de Jenö Hubay (1858-1937). Cette dernière pièce est précédée d’une démonstration bluffante de Petrov, dans Immer kleiner d’Adolph Schreiner (1847-1921), sorte de strip-tease à l’issue duquel la clarinette se trouve réduite à son seul bec. Lugansky s’accorde alors une courte pause en laissant Rudenko se colleter avec l’adaptation par Mikaïl Pletnev du «Pas de deux» extrait du second acte de Casse-noisette (1891) de Tchaïkovski.


Petrov revient pour une Fantaisie sur des thèmes de «Carmen» d’Alexander Rosenblatt (né en 1956), qui change, en plus jazzy, de celles de Sarasate et Waxman, puis c’est le tour de Kniazev, dans un arrangement d’ Introduction et Variations sur «Dal tuo stellato soglio» extrait de «Moïse en Egypte» de Rossini (1819) de Paganini, fameux défi consistant à n’utiliser qu’une seule des quatre cordes. Comme on est à La Roque d’Anthéron, le dernier mot est naturellement réservé au piano, ou plutôt aux deux pianos, avec la Jamaican rumba (1945) de l’Australien Arthur Benjamin (1893-1960), où l’on croit entendre des échos de la comptine anglaise London bridge is falling down sertis dans des rythmes et couleurs dignes du Milhaud de Scaramouche. Et quelle meilleure conclusion, pour reprendre les termes du critique britannique Rob Barnett, que cette danse emblématique d’une «ambiance de vacances» («holiday mood in music»)?


Un site consacré à Nikolaï Lugansky
Le site de Pavel Sporcl
Un site consacré à Alexander Kniazev



Simon Corley

 

 

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