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Warlikowski dans la mémoire du mythe

Paris
Palais Garnier
05/22/2008 -  et 25, 28, 31 mai, 2, 5 & 8 juin
Christoph Wilibald Gluck : Iphigénie en Tauride
Mireille Delunsch (Iphigénie), Stéphane Degout (Oreste), Yann Beuron (Pylade), Franck Ferrari (Thoas), Salomé Haller (Diane), Renate Jett (Iphigénie, rôle non chanté)
Chœur Accentus, Laurence Equilbey (direction), Orchestre baroque de Fribourg, Ivor Bolton (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène)


Toujours aussi chahutée (voir ici), l’Iphigénie en Tauride de Gluck re(vue) par Krzysztof Warlikowski – il n’est pas sûr qu’il en soit fâché. Toujours aussi forte aussi. On aurait tort, en effet, de la réduire aux lavabos ou au dortoir de la maison de retraite où une vieille dame chic et chétive se souvient – ou rêve – qu’elle a été – ou qu’elle est - Iphigénie. D’emblée, le metteur en scène brouille les repères, moins pour nous dérouter que pour inscrire le mythe dans notre conscience d’aujourd’hui et nous dire que ses héros, qui ne sont après tout que des projections de nous-mêmes, peuvent finir eux aussi dans la triste réalité d’une vieillesse gâteuse et dérisoire : le ballet des Scythes est exécuté par des pensionnaires brandissant un drapeau français. Warlikowski nous renvoie surtout, à travers la représentation du mythe mis en musique, notre propre miroir, comme nous l’indique cette gigantesque glace qui reflète le public assis parmi les ors du Palais Garnier. La production renoue ainsi, portée par les éclairages très subtils de la décoratrice Małgorzata Szczesniak, avec les fastes de l’opéra, loin du misérabilisme qu’on lui a souvent reproché : il n’est pas Marthaler. Des parois de glace isolent aussi, à l’intérieur de la maison de retraite, l’espace étroit où Iphigénie, Oreste et Pylade vont croiser leurs destins. La production, malgré les apparences, préserve les constantes du mythe : le mariage, le meurtre de l’époux, l’assassinat de la mère, chez des Atrides embourgeoisés mais tels qu’en eux-mêmes. Et elle nous rappelle, grâce à une direction d’acteurs d’une étonnante précision, sans surenchère dans le pathétique, la force, la violence, la tendresse aussi, souvent incestueuses, qui unissent tous ces personnages égarés. Thoas lui-même, le tyran sanguinaire, ignorant qu’il va mourir sous les coups de Pylade, jette des roses rouges à Iphigénie alors même qu’il ordonne son châtiment : l’aimerait-il donc – comme chez Goethe ? Au-delà du livret de Guillard, le metteur en scène semble convoquer, à partir d’Euripide, l’ensemble de ceux qui ont fait le mythe. Voilà sans doute la plus émouvante production de Warlikowski, à la fois dérangeante et pertinente.


Ivor Bolton succède à Marc Minkowski, à la tête d’un des meilleurs ensembles « baroques » du moment, le Freiburger Barockorchester. Il se révèle moins sec que dans Mozart, optant pour une direction à la fois théâtrale et colorée, moins inventive pourtant que celle de Minkowski – pas toujours incontestable, mais particulièrement inspiré dans Iphigénie. De même, l’impeccable chœur Accentus n’est pas exempt d’une certaine raideur qui fige la tragédie gluckiste, alors que celui des Musiciens du Louvre lui redonnait sa vie. Authentique musicienne, artiste investie, Mireille Delunsch dégage toujours une aura, ici Iphigénie blessée et déchirée. Elle ne peut malheureusement pas dissimuler des carences techniques qui, aggravées par des prises de rôles imprudentes, ont durci la voix, accentué l’empâtement de l’articulation, compromis l’homogénéité des registres. Du coup, on la sent trop prudente, attentive à ne pas trébucher, à la peine dans son dernier air, elle qu’on a connue beaucoup si incandescente. Bref, on regrette Susan Graham, tout en se laissant toucher par cette fragilité, dont la chanteuse finirait presque par faire un atout. Stéphane Degout, en revanche, ne suscite aucune nostalgie, tant son Oreste est remarquable. La voix a définitivement trouvé son assise, se projette admirablement, se coule avec aisance dans le grand style français, à travers une déclamation exemplaire. Mais le chanteur témoigne aussi d’un sens de la caractérisation qui l’identifie au personnage, en particulier à sa folie hallucinatoire de fils maudit. Nous savions ce que nous pouvions attendre du Pylade Yann Beuron, déjà parfait en 2006 : le revoici tel qu’en lui-même, magnifique dans ce rôle meurtrier pour l’aigu et le passage, à peine moins souple d’émission depuis que la voix s’est corsée, incarnant lui aussi avec éclat le grand style français.



Didier van Moere

 

 

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