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Wir arme Leute

Paris
Opéra Bastille
03/29/2008 -  et 1er, 7, 10, 13, 16, 19 avril 2008
Alban Berg : Wozzeck, opus 7

Simon Keenlyside (Wozzeck), Jon Villars (Tambourmajor), David Kuebler (Andres), Gerhard Siegel (Hauptmann), Roland Bracht (Doktor), Angela Denoke (Marie), Ursula Hesse von den Steinen (Margret), Patrick Schramm, Igor Gnidii (Handwerksburschen), John Graham-Hall (Der Narr), Se-Jin Hwang (Ein Soldat)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, Winfried Maczewski (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Sylvain Cambreling (direction musicale)
Christoph Marthaler (mise en scène), Anna Viebrock (décors et costumes), Olaf Winter (lumières), Joachim Rathke (co-metteur en scène), Thomas Stache (collaborateur aux mouvements), Malte Ubenauf (dramaturgie)


Pas la moindre huée au moment des rappels: c’est pourtant bien à une première que l’on vient d’assister à l’Opéra Bastille, et ce dans une nouvelle production confiée au sulfureux duo formé par Christoph Marthaler et Sylvain Cambreling, qui avait précédemment enflammé la capitale dans les Noces de Figaro en mars 2006 – reprises aux Amandiers à partir du 11 avril – puis La Traviata en juin 2007. Gerard Mortier sera peut-être déçu de ne pas avoir fait scandale cette fois-ci, comme encore tout récemment avec le Parsifal de Krzysztof Warlikowski, mais il se consolera certainement avec le succès mérité qu’obtient ce spectacle. Est-ce à dire que le public a évolué? Pas nécessairement, car une Katia Kabanova venue de Salzbourg, associant déjà le metteur en scène suisse et le chef d’orchestre français, n’avait guère choqué, à l’automne 2004 au Palais Garnier.


Voici tout juste un mois, David Freeman avait conçu pour La Monnaie un Wozzeck minimaliste (voir ici). Rien de tel avec Marthaler: c’est plutôt le trop-plein qui menace, notamment durant les deux premiers actes, où la plupart des personnages sont présents sur le plateau et s’y déplacent sans cesse, faisant fi des didascalies. Et il reste fidèle à ses énigmatiques figurants muets, comme ce musicien assis à son «pianino» désaccordé, immobile jusqu’à ce qu’il tienne sa partie dans la scène de l’auberge au troisième acte, sinon pour allumer et éteindre la lumière de son pupitre à des moments-clefs de l’action ou bien, à la fin du premier acte, dans une sorte de pirouette, pour plaquer l’accord que vient de jouer l’orchestre et s’enfuir précipitamment.


Entouré de ses partenaires habituels (Anna Viebrock pour les décors et costumes, Olaf Winter pour les éclairages), Marthaler s’attache comme de coutume à reconstituer minutieusement un réalisme social qui n’épargne rien au spectateur, jusqu’au vulgaire ou au sordide. Une poésie de la trivialité et des petites gens, où la loufoquerie n’est jamais loin, faisant penser à autre homme de théâtre, Jérôme Deschamps, avec une Margret en grande fille déhanchée à la Yolande Moreau, ou un Fou en pull marron, bermuda et sandales, tout droit sorti de l’univers vestimentaire des Deschiens.


Mais cette esthétique d’un quotidien contemporain dans toute sa dureté traduit pleinement le «Wir arme Leute» («Nous autres, pauvres gens»), leitmotiv à la fois verbal et musical de l’opéra de Berg. Le soldat Wozzeck est ainsi devenu serveur dans la cafétéria attenante à un terrain de jeux pour enfants, dont on aperçoit au fond les éléments gonflables de couleur vive. Et s’il est revêtu d’une tenue militaire, ainsi que le justifie dans le programme le dramaturge Malte Ubenauf, c’est parce que les «parents menacés d’exclusion investissent leurs dernières forces» notamment «dans l’acquisition de tenues de camouflage». Sans trop distordre le livret, le décor unique – le rideau ne tombe qu’à la fin du dernier acte – en forme de grande tente provisoire aux baies vitrées en plastique transparent remplace donc aussi bien les maisons que la forêt, la taverne ou l’étang. Le dispositif conduit à situer la noyade de Wozzeck à l’extérieur, dans les coulisses, s’enchaînant sur le fameux interlude, durant lequel les enfants sont assis face à la salle dans une lumière progressivement aveuglante. Mais l’idée consistant à leur confier ensuite collectivement l’ensemble du dialogue parlé avec le fils de Marie, comme s’ils étaient en classe pour scander à voix haute une leçon, se justifiait peut-être d’autant moins que la cohésion des jeunes chanteurs n’est pas encore optimale.


Angela Denoke en jeans, Simon Keenlyside en simplet agité qui sombre dans la folie, rangeant et essuyant sans cesse les tables, Jon Villars roulant des mécaniques en colosse punk à la crête arrogante, Gerhard Siegel, formidable capitaine évoquant, malgré la transposition chronologique, la charge caricaturale d’un Otto Dix, Roland Bracht en docteur trop immaculé pour ne pas être inquiétant, tous ces grands chanteurs répondent remarquablement aux exigences de Marthaler. La qualité musicale n’est pas en reste: le baryton anglais convainc ainsi pour sa prise de rôle en Wozzeck sobre et digne, perpétuellement inquiet et résigné; la soprano allemande, quant à elle, incarne une Marie vocalement impressionnante, dont la beauté et l’élégance se trouvent parfois même en décalage avec la verdeur de son personnage. Mais, à la différence des autres protagonistes, «toujours Marie reviendra au chant», comme le souligne Sylvain Cambreling, qui a le bonheur de diriger dans cette musique le plus bel orchestre parisien, tour à tour intense et chatoyant.



Simon Corley

 

 

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