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W comme Wagner, W comme Warlikowski

Paris
Opéra Bastille
03/04/2008 -  et les 7*, 11, 14, 17, 20 & 23 mars.
Richard Wagner : Parsifal
Alexander Marco-Buhrmester (Amfortas), Victor von Halem (Titurel), Franz Josef Selig (Gurnemanz), Evgeny Nikitin (Klingsor), Waltraud Meier*/Angela Denoke (14 mars) (Kundry), Christopher Ventris (Parsifal), Gunnar Gudbjörnsson, Scott Wilde (Deux chevaliers du Graal), Hye-Youn Lee, Louise Callinan, Jason Bridges, Bartlomiej Misiuda (Quatre écuyers), Adriana Kucerova, Valérie Condoluci,Cornelia Oncioiu, Yun-Jung Choi, Marie-Adeline Henry, Louise Callinan (les Filles-Fleurs), Cornelia Oncioiu (Une voix d’en haut), Renate Jett (l’Accompagnateur)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Hartmut Haenchen (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Małgorzata Szczesniak (décors et costumes)


On allait voir ce qu’on allait voir. Le bouillant et iconoclaste Krzysztof Warlikowski, qui déclare lui-même détester l’Allemagne et Wagner, allait en finir avec l’idéologie aussi poussiéreuse que suspecte de Parsifal. Et comme une mise en scène, pour le Polonais, est un acte politique ou n’est pas, le « festival scénique sacré » wagnérien, honni par Nietzsche avant d’être annexé par Hitler, devait en prendre un sacré coup. Il n’en fallait pas plus pour qu’on criât au scandale avant même d’avoir vu – à tel point qu’on se demande si tout ce tapage a priori ne relevait pas d’une communication savamment orchestrée. Le chahut de la générale, largement relayé dans les médias et les salons, sans parler des sites Internet, avait aussitôt répandu son délicieux parfum de scandale.


Les choses ne sont pas si simples. Certes le temple devient un amphithéâtre d’université, où la jeunesse, qu’il faut éduquer, assiste à la messe – chasubles, calices, tout y est – alors qu’on y attendrait une leçon d’anatomie – les étudiants, pour Małgorzata Szczesniak, pourraient également former une secte. On soigne Amfortas dans un hôpital très clean, dont on nous montre les tables de dissection. Au deuxième acte, le héros, moins « reiner Tor » que puceau, se fait entreprendre par les pensionnaires expertes d’une maison qui a un côté Lido avant d’être plus sérieusement pris en main par la patronne plus mûre. Au troisième acte, Monsalvat, dont Robert Carsen avait ressuscité les frondaisons dans son Lohengrin, se mue en un petit potager consciencieusement arrosé par un enfant – le petit Lohengrin, justement ? Après une messe de première communion, on se retrouve bourgeoisement pour déjeuner en famille : Amfortas et Kundry, dont le couple a connu bien des déboires, ressemblent à un papa et une maman réconciliés, veillant sur leur fiston revenu - de la guerre ? – à la maison, tandis que le petit, toujours là, incarne sans doute un avenir moins tourmenté. Le vieux serviteur, qui a traversé les orages et tenu la boutique, retrouve sa place à l’office.


En totale complicité avec sa fidèle décoratrice Małgorzata Szczesniak, tout aussi exemplaire de cohérence, Warlikowski démythifie Parsifal. Et il nous met en garde : les cérémonies du Graal se sont achevées dans les ruines de Berlin en 1945, provoquant le suicide du petit Edmund d’Allemagne, année zéro de Rossellini – c’est la projection, avant le début du troisième acte, de la scène et du texte du cinéaste sur le danger des idéologies qui déclenche le tapage. Mise en scène politique donc. A vrai dire, on nous a déjà fait le coup. Mais sans cette ambiguïté qui fait le prix de la lecture de Warlikowski. Ambiguïté dans sa représentation du sacré, comme s’il éprouvait, quoi qu’il en dise, plus de fascination que de répulsion pour la partition de Wagner. Ambiguïté dans le message. Au début, pendant le Prélude, une main écrit successivement les mots « foi », « amour », « espérance ». Remplaçons « amour » par « charité » et nous avons les trois vertus théologales, dans un ordre un peu différent, ce qui éclaire peut-être la fin, l’Enchantement potager du vendredi saint symbolisant finalement le renouveau là où on attendait une mise en accusation haineuse. A moins que Warlikowski ne veuille suggérer que Parsifal rentre dans le rang et que tout recommence ? Quoi qu’il en soit, il n’est pas sûr qu’il veuille mettre à bas tout ce que Wagner nous dit dans Parsifal ; il pose seulement la question des rapports entre la religion, l’amour et la société - quand on est un Polonais de 45 ans et qu’on en avait 26 au moment de la chute du mur de Berlin, on peut parler de ces choses en connaissance de cause ; le metteur en scène, via Wagner, s’interroge évidemment lui-même. Sans doute pose-t-il également, à travers cet enfant omniprésent, la question de la responsabilité des générations. Wagner faisait-il autre chose ? Quelle réponse proposerait-il aujourd’hui ? D’où le refus d’actualiser et de dater vraiment : années trente, années cinquante, aujourd’hui… ou demain ?



Peut-être le metteur en scène se montre-t-il beaucoup plus proche du compositeur qu’on ne le pense, n’adoptant pas la même posture que dans Iphigénie en Tauride de Gluck, où il dérangeait davantage. A preuve la sobriété que ce directeur d’acteurs exigeant et raffiné impose à ses chanteurs, son souci de faire correspondre strictement le rythme de la musique et celui de la représentation, son respect scrupuleux des mots et des notes. Contrairement aux apparences, Warlikowski sert plus l’œuvre qu’il ne s’en sert, presque avec humilité, avec un certain classicisme en tout cas – de ce point de vue, c’est l’anti-Marthaler. Les Filles fleurs s’amusant de Parsifal comme d’un objet sexuel ? La musique ne dit rien d’autre. Ce deuxième acte est d’ailleurs remarquable de justesse et de concentration, dépourvu de toute emphase ou de toute facilité, avec une scène d’amour – peut-être plus incestueuse que diabolique – magnifiquement réussie.


Quels que soient les mérites d’une mise en scène, une production d’opéra ne satisfait que si la musique y trouve la place qui lui revient. On peut dire que, globalement, c’était le cas de ce Parsifal. Hartmut Haenchen, qui affirme dans le programme avoir repensé les différentes traditions d’interprétation en « reprenant, pour la première fois en France, toutes les indications notées par les assistants musicaux de Wagner », parvient à un bel équilibre entre une grandeur sans grandiloquence et un mysticisme sans fadeur, à la faveur de tempi très souples, refusant de jouer les officiants touchés par la grâce. On se réjouit aussi qu’il fasse la différence entre les actes, assumant comme le metteur en scène le statisme du premier et du troisième, où la direction met plutôt l’accent sur la polyphonie, alors qu’il privilégie plutôt la tension dramatique dans le deuxième. Mais la direction reste toujours lyrique, donnant tout leur poids aux silences, notamment dans le Prélude, moins éthéré que douloureux. L’orchestre, une fois de plus, nonobstant ça ou là d’infimes décalages, est superbe, plus que les chœurs, qui manquent de rondeur et flanchent parfois du côté des dames.


La distribution n’appelle guère de réserves. Waltraud Meier la domine, tant elle est Kundry depuis longtemps, vocalement et scéniquement. Non qu’elle ait conservés ses moyens parfaitement intacts, mais la maîtrise de la voix est totale, sur toute la tessiture, ce qui nous vaut une Kundry tout aussi séductrice, cependant plus fragile et moins insolente que naguère, même si le saut redoutable du fameux « lachte » est toujours à couper le souffle. Fabuleuse actrice aussi, un rêve pour le metteur en scène : un peu comme Astrid Varnay autrefois, elle capte le regard même quand elle ne chante pas, même quand elle ne bouge pas. Christopher Ventris incarne aussi pleinement Parsifal, avec la fraîcheur nécessaire du timbre, faisant évoluer la voix à l’unisson du « pur et simple », presque timide au deuxième acte, rayonnant ensuite au troisième, totalement libéré dans le « Nur eine Waffe taugt » final. Excellent Gurnemanz aussi de Franz Josef Selig, toujours digne et jamais chenu, extasié et pas béat, chantant sa partie comme un lied sans cesse recommencé, d’une voix chaude et profonde, qui pourrait seulement corriger sa tendance, déjà remarquée ailleurs, à détimbrer les nuances. Alexander Marco-Buhrmester, beau timbre et beau chant, évite heureusement toute exhibition doloriste en Amfortas invalide avançant péniblement – blessure de guerre ? – sur ses béquilles, de même qu’Evgeny Nikitin évite tout débordement de noirceur en Klingsor, magicien de rouge et de noir vêtu, beau timbre et beau chant lui aussi.


Ce Parsifal trahit-il Wagner ? Rien n’est moins sûr, malgré les cris d’orfraie entendus çà et là.



Didier van Moere

 

 

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