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Le rêve de sa vie

Paris
Cité de la musique
03/04/2008 -  et 5 mars 2008
Bruno Mantovani : L’Autre côté

Fabrice Dalis (Kubin), Maryline Fallot (Madame Kubin), Lionel Peintre (Gautsch, Teratatian, L’huissier, L’Américain), Avi Klemberg (Le coiffeur), Sylvia Vadimova (L’éditeur), Robert Expert (Le médecin Lampenbogen), Jean-Loup Pagésy (Son Excellence, Patera), Membre du chœur de chambre Les Eléments (Une religieuse, Un crieur de journaux, Un général, Un journaliste)
Chœur de chambre Les Eléments, Joël Suhubiette (chef de chœur), Les Percussions de Strasbourg, Orchestre national d’Ile-de-France, Pascal Rophé (direction)


Créé dans le cadre du Festival Musica en septembre 2006 et repris ici pour deux représentations en version de concert, L’Autre côté de Bruno Mantovani se situe au cœur de la thématique du cycle «Utopies et réalité» que propose actuellement la Cité de la musique. Le livret de cet «opéra fantastique» en un prologue et deux actes est en effet tiré du roman éponyme (1909) d’Alfred Kubin (1877-1959), dont l’adaptation a été réalisée par le philosophe, homme de théâtre et écrivain, François Regnault (né en 1938), fort de son ancienne collaboration avec Georges Aperghis.


Né en 1974, Mantovani appartient à une génération décomplexée qui, à la différence de la précédente, bien loin d’entretenir une suspicion voire une haine pour les conventions opératiques, a envie de s’y confronter. Et comment résister à la tentation, lorsqu’à trente-deux ans seulement, une commande de l’Etat et de l’Opéra national du Rhin vous offre la possibilité d’écrire deux heures et dix minutes de musique pour un grand orchestre et de bénéficier d’une mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota? Pour répondre à ce défi, Mantovani et Regnault, comme Dusapin quelques années plus tôt avec son Perela, uomo di fumo, ont trouvé un sujet en or, qui, bien que datant de près d’un siècle, n’avait pas encore été exploité à l’opéra.


Si les dessins et illustrations de Kubin s’inscrivent entre symbolisme et expressionnisme, son unique roman possède déjà un fort parfum surréaliste: son exploration de l’onirisme évoque d’ailleurs Juliette ou la clef des songes de Georges Neveux, une pièce qui a inspiré un autre œuvre lyrique, Julietta de Martinu. Mais cet univers à la fois comique et pathétique, où le quotidien dérape subitement vers l’absurde et où l’individu est paralysé face à l’arbitraire et à la bureaucratie, semble aussi annoncer Le Château ou Le Procès. Tandis que chez Kafka, (Josef) K n’est pas nécessairement l’auteur, dans L’Autre côté, Kubin s’érige lui-même en héros de son propre récit, insérant même des allusions autobiographiques, comme cet internement qu’il avait subi, douze ans plus tôt, suite à une dépression.


Le dessinateur reçoit un beau jour la visite d’un émissaire de son ami d’enfance Claus Poltera, maître des 65 000 habitants de «l’Empire du rêve» qu’il a créé en Asie et qui l’invite à le rejoindre. Kubin se laisse convaincre pour s’y installer avec son épouse, mais la réalité, si l’on ose dire, tourne… au cauchemar. Non seulement Poltera apparaît en allumeur de réverbères et exerce une dictature étrangement impotente sur cette région «perpétuellement sous les nuages» où se succèdent «d’interminables crépuscules», mais la capitale, Perle, accumulation de bâtiments anciens de la vieille Europe, n’est que décrépitude et ruines. Même si l’on peut y avoir des hallucinations… et y rêver, ce monde obsolète et, par définition, irréaliste – un illustrateur au journal «Miroir du rêve» ne gagne-t-il pas 400 florins par mois? –, était sans doute nécessairement appelé à disparaître au réveil. Comme l’écrivait Edmond Goblot à la même époque, «le rêve est non pas la pensée du sommeil, mais la pensée du réveil»: après la mort de Madame Kubin, l’Empire du rêve bascule dans la révolution, la violence, l’anarchie et la putréfaction, à l’instigation d’un riche Américain, Hercule Bell.


Allégorie d’une Autriche-Hongrie qui, comme la Cacanie de Musil, se consume lentement dans le culte de son glorieux passé, par opposition au dynamisme des Etats-Unis? Ou bien allégorie d’un genre – l’opéra – périclitant sous l’emprise des références? En tout cas, de l’aveu même de Mantovani, L’Autre côté peut aussi se comprendre comme l’occasion qui lui était donnée d’un «retour à un désir ancien» et à un «pays natal», celui de l’orchestre et de l’opéra.


Longs interludes, éruptions et puissance varésiennes, déchaînements frénétiques: de fait, l’orchestre quitte rarement le premier plan, impression que l’exécution en concert contribue sans doute à renforcer, suscitant de trop fréquents déséquilibres, entre cordes et vents, d’une part, avec les chanteurs, d’autre part. Mais sous cette réserve, justifiant le surtitrage, le traitement du texte vise toujours à en assurer la lisibilité, depuis le récit jusqu’au chant très ornementé en passant par le parlé scandé. Pour gérer le «débordement d’actions», Mantovani dit s’être inspiré de l’exemple de... Cimarosa. En tout cas, l’ostinato, auquel se superposent des éléments de nature plus mélodique, règne en maître, régulier pour le tic-tac de «l’horloge enchantée», plus ou moins détraqué ailleurs: entre soli inquiétants et tempêtes sonores à la Henze, la tension ne laisse à l’auditeur que de rares instants de répit.


De la création strasbourgeoise, la distribution vocale est entièrement reconduite, dominée par le Kubin de Fabrice Dalis, avec le plaisir de retrouver par ailleurs Lionel Peintre dans quatre rôles, dont celui de l’Américain, ou Robert Expert dans celui du médecin. Les Percussions de Strasbourg sont également à nouveau de l’aventure, avec quatre musiciens spatialisés au premier balcon, de part et d’autre de la scène, dotés chacun d’une caisse claire, d’une cymbale chinoise, d’un triangle, d’un tom et d’un mokubio (wood-blocks japonais). Changement complet, en revanche, pour le chœur – protagoniste actif mais se fondant parfois aussi dans les timbres instrumentaux – et l’orchestre: le travail accompli par les trente-deux excellents chanteurs des Eléments de Joël Suhubiette, et par l’Orchestre national d’Ile-de-France, qui, sous la direction de Pascal Rophé, confirme sa motivation et sa souplesse, n’en est que plus remarquable.



Simon Corley

 

 

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