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Allégorie grave et légère

Paris
Palais Garnier
03/03/2008 -  et 5, 8, 11, 14, 16, 19, 22, 24 mars 2008
Igor Stravinski : The Rake’s Progress

René Schirrer (Trulove), Laura Claycomb (Anne Trulove), Toby Spence (Tom Rakewell), Laurent Naouri (Nick Shadow), Hilary Summers (Mother Goose), Jane Henschel (Baba the Turk), Ales Briscein (Sellem), Ugo Rabec (Le gardien de l’asile)
Jory Vinikour (clavecin), Chœur de l’Opéra national de Paris, Winfried Maczewski (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Edward Gardner (direction musicale)
Olivier Py (mise en scène et lumières), Pierre-André Weitz (décors et costumes), Wissam Arbache (collaborateur à la mise en scène)


Plus de cinquante ans après sa création, The Rake’s Progress (1951) fait enfin son entrée à Garnier. L’opéra de Stravinski a décidément le vent en poupe: après la production de Robert Lepage à La Monnaie (voir ici), après la reprise de celle d’André Engel au Théâtre des Champs-Elysées (voir ici), ce devait être le tour de Luc Bondy et Richard Peduzzi. Le metteur en scène suisse s’étant toutefois désisté pour raisons de santé, Olivier Py a repris le flambeau, effectuant à cette occasion ses débuts à l’Opéra national de Paris dans cette Carrière du libertin.


Le directeur du Théâtre national de l’Odéon a réalisé en quatre mois seulement un travail d’une formidable virtuosité. Si c’est Nick Shadow qui paraît d’abord mener le jeu, invitant le chef à donner le départ puis, assis à une table, dos à la salle, réglant entrées et sorties, la perspective de la morale énoncée dans le quintette final n’est pas perdue de vue pour autant. Comme c’est d’un spectacle édifiant qu’il s’agit et puisque l’objectif consiste donc à délivrer, non sans ironie, un message, le théâtre ne s’efforce pas d’imiter la réalité, préférant au contraire revendiquer son caractère fictif et fantastique: les tréteaux et estrades sont manœuvrés par des hommes en smoking ou en bleu de travail, les rouages et coulisses s’exposent au grand jour, les ventilateurs ne se dissimulent pas derrière la brise printanière, tandis que règne la confusion entre le plateau et la salle – rideau ouvert alors même que les spectateurs finissent de prendre place, choristes applaudissant en même temps que le public – mais après tout, c’est bien aux auditeurs que s’adresse la leçon de l’épilogue.


Si la scène est dans la salle, de même, le théâtre est dans le théâtre: non seulement il est sans cesse lui-même objet scénique confondu avec la réalité, mais la revue du deuxième acte offre une brillante construction en abyme, Tom et Baba se produisant dans un show, entourés d’un clown, d’un nain, d’un jongleur, de lutteurs au corps parfaitement huilé et de girls avec leur truc en plumes. En phase avec les ambiguïtés du «néoclassicisme» de Stravinski, analysées de manière pénétrante par Adorno dans un texte que le programme reproduit fort opportunément, cette distanciation permanente trouve en outre son prolongement dans la conception de Pierre-André Weitz, avec lequel Olivier Py collabore de longue date: davantage qu’un décor à proprement parler, il a imaginé une scénographie complexe, à base de cadres et de modules mobiles. La perplexité – dans le premier tableau, les voix ont tendance à se perdre dans les cintres, ne s’échappant que par une étroite ouverture – laisse rapidement la place à l’émerveillement, le dispositif dévoilant ensuite un très riche potentiel.


Parmi un baroque déferlement d’objets, qui culmine logiquement au moment de la vente aux enchères, c’est un simple lit blanc qui accompagne toutes les étapes de la vie du libertin, accueillant ses ébats avec Anne, puis au bordel et avec Baba la Turque, et devenant enfin paillasse pour son internement à l’asile. Comme il se doit, Eros cohabite avec Thanatos, littéralement en l’espèce, puisqu’un squelette noir apporté par Shadow n’est jamais bien loin, que ce soit dans, autour ou en dessous du lit. Les tentations de la chair sont largement et explicitement représentées – mais l’action le justifie amplement – jusque dans le surtitrage, où «handsome» est traduit par «bien monté».


On n’ignorera donc rien des secrets de Soho – Mother Goose tient en laisse l’esclave de ses plaisirs et l’on fornique dans presque tous les effectifs, combinaisons et positions imaginables – mais dans une maison où, voici près de trente ans, Le Grand macabre de Daniel Mesguich osait (brièvement) une femme nue, ce ne sont pas les soubrettes pin-up ni le topless façon Crazy horse de trois figurantes ou bien encore les perruques et tenues affriolantes des prostituées, crânement assumées par les choristes, qui vont provoquer un charivari.


Olivier Py, par ailleurs créateur des lumières, reste fidèle à ses néons, dont la couleur change au gré de l’intrigue, tel ce rouge qui préside à la débauche. Tout concourt ainsi chez lui à mettre en valeur les différentes dimensions de cette œuvre composite: provocation et humour, bien sûr, mais aussi drame et émotion. Il y parvient également par une foule de petites notations que le livret ne prévoit pas explicitement, mais qui se révèlent autant de trouvailles ingénieuses: Anne enceinte, puis poussant un landau, et enfin accompagnée d’un petit garçon, ou Tom parmi les fous, vieilli, chauve et bedonnant. De même, il ouvre des perspectives nouvelles en prenant le parti de montrer des personnages qui, en toute rigueur, ne devraient pas se trouver sur scène, comme Anne lorsque Tom chante sa cavatine au premier acte ou joue aux cartes avec Shadow au troisième acte. Pas le moindre temps mort, dès lors, et les airs ne se transforment pas en tunnels dans lesquels la direction d’acteurs serait mise en veilleuse. Bien plus, elle ne manque pas de rendre justice au caractère dansant de la musique de celui qui fut, au siècle dernier, le plus grand des compositeurs de ballet.


Le choix d’une allégorie à la fois grave et légère s’accompagne sans peine d’une transposition chronologique: si les objets déposés par Shadow devant la rampe (crâne, sablier, livres) évoquent les vanités du XVIIe siècle plutôt que le XVIIIe des gravures de Hogarth qui ont inspiré les librettistes Auden et Kallman, les costumes de Pierre-André Weitz font clairement référence au tournant des années 1940 et 1950.


Une réussite que la distribution ne vient nullement gâcher, même si l’exceptionnelle performance de Toby Spence en Tom a tendance à éclipser l’Anne de Laura Claycomb, qui, sans démériter, le cède un peu en puissance et en technique – de beaux phrasés, mais quelques aigus un peu serrés dans les nuances piano. René Schirrer, quant à lui, négocie de façon satisfaisante les notes aiguës du rôle de Trulove. En diable dont le jeu aussi bien que la voix n’en rajoutent ni dans l’épaisseur ni dans la noirceur, Laurent Naouri, sans forcer sur le caractère sardonique de Nick Shadow, finirait par attirer la sympathie. Hilary Summers et Jane Henschel ne surjouent pas davantage en Mother Goose et Baba la Turque, cette dernière recueillant tous les suffrages par une composition dramatiquement dynamique et vocalement fascinante, alternant avec autorité les registres les plus divers.


Si la déception venait de la fosse au Théâtre des Champs-Elysées à l’automne dernier, on ne pourra pas en dire autant cette fois-ci: sous la baguette d’Edward Gardner, directeur de l’Opéra national anglais depuis un an, l’orchestre offre de la chair et du muscle, avec des bois qui s’en donnent à cœur joie.


Le site de Laura Claycomb



Simon Corley

 

 

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