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Verdi tel qu’en lui-même Paris Opéra Bastille 02/14/2008 - et les 17, 20, 23, 26 & 29 février, 2, 5, 8 & 12 mars Giuseppe Verdi : Luisa Miller Ildar Abdrazakov (le Comte Walter), Ramon Vargas (Rodolfo), Maria José Montiel (Federica), Kwangchul Youn (Wurm), Andrzej Dobber (Miller), Ana Maria Martinez (Luisa), Elisa Cenni (Laura), Vincent Morell (Un paysan)
Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Massimo Zanetti (direction)
Gilbert Deflo (mise en scène)
Une masure toute simple pour Luisa et son père, de sombres ogives, formant presque un labyrinthe, pour le tortueux Walter et son âme damnée de Wurm. Mais toujours, au fond, un paysage de montagne idyllique, joliment coloré, respirant la paix, rappelant certains peintres du XIXe et Friedrich : plus que le Tyrol, une sorte de jardin d’Eden, la nature originelle, violée par des méchants qui ne reculent devant rien, assassinat, chantage ou faux en écriture. On a d’ailleurs l’impression de feuilleter un livre d’images : le titre de chaque partie apparaît avant le lever du rideau. A travers ce très beau décor, Gilbert Deflo et William Orlandi ont conçu l’histoire de Luisa Miller, où il reste assez peu de l’Intrigue et Amour schillérien, comme une histoire de paradis perdu.. Le metteur en scène, qui avait raté son Bal masqué (lire ici), a plutôt réussi sa Luisa Miller, parce qu’il y trouve l’équilibre entre le semi seria et le mélodrame. On peut évidemment lui reprocher de ne pas diriger les chanteurs, de figer les chœurs, bref de ne pas sortir de la convention, mais le Verdi de Luisa Miller n’est pas iconoclaste, si bien que tout paraît juste, à défaut d’être inventif, avec même une certaine finesse dans la peinture des méchants, là où tout pourrait sombrer dans la grandiloquence. Peinture est bien le mot, pas seulement à cause du décor : certaines scènes sont conçues comme des tableaux vivants. La tradition ? Sans poussière. Cela n’a pas empêché les huées… on en a l’habitude, si bien que cela ne veut plus rien dire.
Reconnaissons que, pour une fois, tout le monde a chanté Verdi à l’Opéra de Paris : Christine Schäfer et José van Dam, dans La Traviata, ne chantaient pas Verdi. Un peu hésitante au début, notamment dans sa cabalette d’entrée, Ana Maria Martinez se révèle peu à peu une belle Luisa, avec sa voix ronde et fraîche, à laquelle il manque seulement un rien de sensualité, très homogène sur toute la tessiture, en particulier dans la seconde partie, où la fragilité n’est jamais fadeur ou passivité. Le « Tu puniscimi » de l’acte II, sans doute le passage le plus tendu du rôle, ne la prend pas en défaut, tandis que, au III, la prière est chantée dans un superbe legato et que les notes piquées du « La tomba è un letto » révèlent de l’aisance dans la légèreté. La chanteuse portoricaine assume donc parfaitement le caractère hybride du rôle. Très assorti à elle par son timbre, Ramon Vargas fait de même, très souple d’émission, tout en nuances, lumineux ou ténébreux selon les moments, authentique chanteur verdien soucieux de la ligne, ne forçant pas lui non plus lorsque le rôle devient plus héroïque. La fameuse scène de l’acte II, à cet égard, est exemplaire : après un « Quando le sere al placido » remarquablement phrasé et chanté piano, sans sanglot, la cabalette, où s’annonce pourtant Manrico, ne fait pas violence à une voix qui reste lyrique.
Belle prestation d’Andrzej Dobber aussi, le baryton polonais respectant toutes les nuances de la partition, ce qui est rare, ne confondant pas Miller et Amonasro, annonçant plutôt les ambiguïtés de Rigoletto : on tient là un Miller subtilement composé, autoritaire et tendre, chanté d’une voix riche mais pas métallique, rompue au chant italien, avec une très belle ligne. Ildar Abdrazakov, qui chante Rossini, se plie également aux canons de l’écriture verdienne, ce que ne font pas toujours les basses russes : la ligne reste souple, la dynamique bien dosée. Il évite surtout de camper un Walter uniformément noir, en faisant d’abord un père tourmenté et mal aimant, ce qui nous vaut un beau « Il mio sangue, la vita darei » à l’acte II. A l’horrible Wurm Kwangchul Youn confère une profondeur venimeuse, il en distille subtilement le sadisme libidineux, sans oublier de bien chanter, d’autant plus inquiétant qu’il reste sobre, notamment dans la scène de la lettre. On est heureux que Maria José Montiel ne confonde pas Federica et Amnéris, évite le recours abusif au registre de poitrine et fasse de la Duchesse une amoureuse et non une mégère.
Diversement apprécié, Massimo Zanetti mérite pourtant des éloges : plutôt que de sacrifier à une théâtralité démonstrative, il préserve la dimension intimiste d’un semi seria qu’on a parfois tendance à conduire comme La Force du destin. Pour lui, le drame réside visiblement dans la musique elle-même, le Verdi de Luisa Miller ne reculant d’ailleurs pas devant le recours à une rhétorique musicale aussi efficace que convenue, dont il détaille les effets avec un grand raffinement. Dès la Sinfonia introductive, le chef italien montre qu’il a fouillé la partition dans ses moindres détails, mettant en valeur les lignes et les timbres, en parfaite complicité avec l’orchestre. Si l’on peut souhaiter une direction plus tendue, on reconnaîtra que l’orchestre en dit autant que les voix, du superbe solo de clarinette dans la Sinfonia au simple tremolo des cordes dans la prière de Luisa à l’acte IV.
Didier van Moere
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