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Morne reprise

Paris
Opéra Bastille
01/21/2008 -  Et les 24*, 28 & 31 janvier, 3, 7 & 10 février.
Richard Strauss : La Femme sans ombre.
Jon Villars (l’Empereur), Eva-Maria Westbroek (l’Impératrice), Jane Henschel (la Nourrice, Une voix d’en haut), Franz Hawlata (Barak), Christine Brewer (sa femme), Ralf Lukas (le Messager des Esprits), Ryan MacPherson (l’Apparition du jeune homme), Elena Tsallagova (la Voix du faucon, le Gardien du seuil du temple), Yuri Kissin (le Borgne), Gregory Reinhart (le Manchot), John Easterloin (le Bossu). Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine, Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, direction Gustav Kuhn. Mise en scène, décors et lumières : Robert Wilson.

Lumières opalescentes, avec d’incomparables bleus, gestuelle hiératique, japonisme stylisé, décors à la limite de l’absence : c’est du pur Bob Wilson. La Femme sans ombre, après tout, n’est-elle pas un conte oriental ? Le couple impérial vit-il dans la réalité ? Cela suffit à justifier, aux yeux de certains, cette lecture subtile et esthétisante, où le moindre geste, le plus infime déplacement ont leur sens, a fortiori dans une histoire où tout le monde se cherche sans se trouver. La scène du jugement, avec l’Impératrice plongée dans l’obscurité du royaume de Keikobad, est assez impressionnante. Le grand escalier noir qui se détache sur un fond blanc, symbole de l’ascension vers la lumière, l’est aussi. Et l’on aime, à la fin, voir ces enfants enfin conçus courir dans un champ. Il reste que si l’itinéraire initiatique du couple impérial, s’accomplissant dans une sorte de magie lunaire, s’accommode très bien de ce parti pris et nous rappelle tout ce que l’opéra de Strauss et de Hofmannsthal doit à La Flûte enchantée, cela tombe totalement à plat dans le cas du couple terrestre, dont les frustrations et la violence sont totalement lissées et qui perd sa chair et ses os. On éprouve alors une fort désagréable sensation de déjà vu lorsque la Teinturière, au paroxysme de sa fureur, ne bouge quasiment pas et ressemble à Madame Butterfly. Les œuvres ne sont pas interchangeables : ce qui nous séduisait dans l’opéra de Puccini ne peut s’appliquer à celui d’un Strauss qui renoue avec Wagner. Les personnages ne le sont pas non plus, même s’il n’est pas interdit de voir dans un couple le double inversé de l’autre. On voit du Bob Wilson et il nous manque la moitié de La Femme sans ombre.


Gustav Kuhn a-t-il été contaminé ? On ne l’espérait pas génial, mais on ne l’attendait pas si plat, si anémié rythmiquement, si peu théâtral, attendant le troisième acte pour s’animer à peine. Quand on entend les splendeurs de l’orchestre de l’Opéra – dans son ensemble, pas seulement dans les fameux solos de violoncelle au deuxième acte et de violon au troisième, remarquablement joués au demeurant – on se dit que c’est du gaspillage, surtout si l’on a entendu à Pleyel le concert dirigé par Christoph von Dohnanyi, grand spécialiste de La Femme sans ombre après Karl Böhm (lire ici). Heureusement, la distribution réserve quelques joies. Très attendue après sa Chrysothémis et son Elisabeth, Eva-Maria Westbroek a triomphé en Impératrice : la voix est lumineuse et veloutée, parfaitement homogène sur une tessiture meurtrière, puissante aussi, idéale en tout cas pour ce personnage accédant progressivement à l’humanité. Il lui manque seulement ce mystère, ces zones d’ombre dont Leonie Rysanek savait nimber le rôle qu’elle a marqué à jamais. La nature n’a pas donné à Christine Brewer un timbre aussi glorieux, mais sa Teinturière force le respect par la tenue et la maîtrise de la voix : elle chante le rôle tel qu’il est écrit, alors que beaucoup ne se privent pas des facilités du Sprechgesang, sans se cantonner dans un forte hystérique, moins mégère que souffrante. Jane Henschel, elle, a maintenant des trous dans la voix et ne peut plus guère compter que sur son art de la composition : sa Nourrice a encore bien belle allure. Les hommes se situent un cran en dessous. Visiblement fatigué, Jon Villars rate son entrée, poussant ses aigus et incapable de phraser ; il s’assouplit ensuite, détimbrant malgré tout ses nuances dans le grand solo du deuxième acte. Franz Hawlata peine à assumer la tessiture de Barak, en particulierdans l’aigu, passe difficilement la rampe au dans le duo du troisième acte ; il n’est surtout pas le personnage, dont il paraît ne pas savoir que faire, dépourvu de l’humanité rayonnante du Teinturier, qu’incarnait beaucoup mieux Jean-Philippe Lafont.


On se réjouissait de revoir La Femme sans ombre, un des opéras du répertoire les plus lourds à monter, qu’on ne retrouvera sans doute pas de si tôt. Notre frustration n’en est que plus grande.



Didier van Moere

 

 

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