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Eloge du quatuor Paris Cité de la musique 01/22/2008 - et 17 novembre 2007 (Detroit), 17 janvier (Utrecht), 9 avril (Stanford) 2008 Joseph Haydn : Quatuor n° 80, opus 76 n° 6
Elliott Carter : Figment IV (création) – Quatuor n° 2
Giuseppe Verdi : Quatuor
Quatuor Juilliard: Joel Smirnoff, Ronald Copes (violon), Samuel Rhodes (alto), Joel Krosnick (violoncelle)
Rendez-vous désormais traditionnel, la biennale de quatuors à cordes se tient comme de coutume à la Cité de la musique, où la Grande salle modulable a adopté une configuration inhabituelle suite au déplacement d’un quart de tour (à rebours des aiguilles d’un montre) de la scène, désormais installée dans la longueur et non plus dans la largeur. Si la première édition (novembre 2003) avait prudemment misé sur des valeurs sûres (Beethoven, Bartok), la deuxième (novembre 2005) a ensuite choisi de mettre à l’honneur Pascal Dusapin, qui fêtait alors ses cinquante ans. La troisième, du 22 au 27 janvier, poursuit dans la même ligne, rendant hommage à Elliott Carter, qui en a exactement le double. La liste des douze formations invitées, dont les Quatuors Arditti, Borodine, Emerson, Hagen, Juilliard et Prazak, demeure toujours aussi impressionnante et incite à courir le risque d’une indigestion en assistant à l’ensemble des douze concerts, dont huit le samedi et le dimanche – sans compter un spectacle pour enfants (déjà présenté la semaine passée), des «master classes» du Quatuor Juilliard et une conférence «Zoom sur une œuvre» consacrée au Sixième de Bartok.
Confiée aux Juilliard actuellement en tournée européenne, l’inauguration débutait avec Haydn, figure imposée de cette biennale, qui permettra d’entendre dix de ses Quatuors. Pour ouvrir ce cycle consacré au genre roi de la musique de chambre, le Quatre-vingtième, sixième de l’opus 76 (1797) et antépénultième achevé par le compositeur, se révèle particulièrement opportun, montrant ce que le genre peut comporter de spéculatif et d’aventureux du point de vue tant de la forme que de l’harmonie ou de l’expression. De sa jeunesse, l’ensemble américain a certes perdu la précision qui fut autrefois la sienne, mais il a conservé ce qui constitue peut-être l’essentiel, à savoir une envie de jouer, un sens dramatique, une vigueur et une sonorité charnue qui réjouissent dans cette musique trop souvent abordée avec des pincettes.
Depuis 1946, année de naissance des Juilliard, l’alto n’a été tenu que par deux musiciens: titulaire de ce pupitre depuis 1969, Samuel Rhodes est ainsi aujourd’hui le plus ancien des membres du quatuor. C’est pour lui qu’Elliott Carter – qui sera lui-même dédicataire de pièces de Birtwistle, Ferneyhough et Reynolds destinées à célébrer son centenaire et également données dans le cadre de cette biennale – a écrit Figment IV (2007). Les trois précédents numéros de cette série, dont le titre peut se traduire par «produit de l’imagination» – avaient été destinés au violoncelle pour les deux premiers et à la contrebasse pour le troisième. Le quatrième, séduisant et extérieur, se caractérise par son lyrisme en même temps que par son animation constante: nul doute qu’à la suite de Samuel Rhodes, bon nombre d’altistes auront à cœur de s’emparer de cette brève pièce qui met en valeur l’instrument.
C’est le Quatuor Juilliard, alors composé de Robert Mann, Isidore Cohen, Raphael Hyllier et Claus Adam, qui créa le Deuxième (1959) de Carter, autre idée bienvenue, après Haydn, pour nourrir la réflexion sur le concept même de quatuor, de façon quasi allégorique, tant la dialectique entre individu et collectivité, entre conflit et coopération prend ici un tour exemplaire sans perdre pour autant un esprit ludique. Intenses et expressifs, les musiciens font partager leur passion pour cette partition aussi exigeante pour les interprètes que pour les auditeurs.
Après cette confrontation théâtrale de quatre personnages dont l’un (le violoncelle) s’adonnerait au bel canto, si l’on en croit une riche notice signée Samuel Rhodes, le Quatuor (1873) de Verdi, une page à part dans son œuvre aussi bien que dans le répertoire du quatuor, s’enchaîne donc de manière moins incongrue qu’on ne pourrait le penser, d’autant qu’il s’achève, comme bon nombre de quatuors de… Haydn, par une fugue. Les Juilliard privilégient l’ardeur juvénile et la saveur sur la technique, de même que dans l’Adagio et Fugue (1788) de Mozart très Sturm und Drang offert en bis.
Le site du Quatuor Juilliard
Le site «Elliott Carter centenary»
Simon Corley
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