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Passions débordantes

Freiburg
Konzerthaus
12/14/2007 -  
Hector Berlioz : Tristia, Op. 18
Florent Schmitt : La Tragédie de Salomé, Op. 50
Olivier Messiaen : Poèmes pour Mi
Richard Wagner : Tristan et Isolde, Prélude et Liebestod


Yvonne Naef (mezzo-soprano)
SWR Vokalensemble Stuttgart, Orchestre du SWR de Baden-Baden et Freiburg, Sylvain Cambreling (direction)

Sous le titre générique de Tristia, Berlioz publie en 1852 trois pièces pour chœur et orchestre écrites à diverses époques et partageant le même climat contemplatif voire dépressif. Inutile de préciser que ni son ambiance neurasthénique ni ses difficultés de réalisation ne prédisposent ce triptyque à une large diffusion. Et pourtant il y a beaucoup à retenir de ces pièces de laboratoire où Berlioz expérimente de nombreuses combinaisons inédites, tant au niveau de la conduite des diverses voix du chœur que des alliages instrumentaux. Sylvain Cambreling peut compter ici sur l’imperturbable sécurité du SWR Vokalensemble Suttgart, chœur radiophonique professionnel qu’aucune difficulté n’effraie, même dans les passages les plus à découvert. Du chœur mixte à six voix de la Méditation religieuse aux simples syllabes «Ah» qui colorent la Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet, en passant par le chœur féminin à deux voix auquel incombe de détailler le texte de La Mort d’Ophélie, tout apparaît méticuleusement en place : un outil vocal à la mesure de la précision des pupitres de l’Orchestre du SWR de Baden-Baden et Freiburg, qui fonctionnent en symbiose avec ces voix précises et sûres, sous la direction d’un Sylvain Cambreling bon créateurs d’ambiances, malheureusement perturbées par une gestique qui n’est pas toujours harmonieuse.


L’orchestre passe au premier plan dans La Tragédie de Salomé de Florent Schmitt, dont l’écriture instrumentale virtuose semble lui poser de gros problèmes, qui ne sont heureusement perceptibles que visuellement (une impression de dur labeur, heureusement contredite par l’aisance préservée de ce que l’on entend). Dans cette partition chronologiquement située tout juste entre la Salomé et l’Elektra de Richard Strauss, Florent Schmitt décore et surcharge d’ors une esthétique essentiellement française (des reflets de La Mer de Debussy circulent un peu partout), allant jusqu’à une démesure digne du Stravinsky des ballets russes voire de l’orchestre-cocktail de Richard Strauss. Ténébreux, clinquants, rutilants, inquiétants, tourmentés, convulsifs… les climats extrêmes se succèdent sous la baguette de Sylvain Cambreling, au risque d’une impression d’hétérogénéité qui limite parfois l’accessibilité d’une œuvre dont on a déjà entendu des interprétations moins dispersées. L’impact délétère d’une atmosphère somptueusement décadente reste en revanche indiscutable, même si l’on quitte son siège moins impressionné qu’amusé, par une musique à bien des égards très datée. Un bel objet 1900, en tout cas.


L’actuelle année Messiaen aura, on l’espère, aussi pour conséquence la remise en lumière d’un certain nombre d’œuvres d’orchestre plus confidentielles, éclipsées par le tonitruant succès international de la Turangalîla Symphonie. En l’occurrence l’idée de faire revivre la version avec orchestre des Poèmes pour Mi est heureuse, tant le mariage de la voix avec une écriture instrumentale très variée ouvre des perspectives insoupçonnées dans la version avec piano. On rechigne cependant, contrairement au commentateur des œuvres dans le programme de salle, à trouver dans cette écriture rythmique encore immature (1936/37) la complexité de distribution des valeurs de notes typique du compositeur. En revanche, l’effet de quadrillage harmonique qui découle de l’utilisation des «modes à transposition limitée» fonctionne déjà à plein régime, surtout pour la partie vocale qui sonne à plus d’un endroit exactement comme les lignes d’ondes Martenot des partitions orchestrales les plus célèbres de Messiaen. Pour varier ce jeu subtil d’évitement autour d’une perpétuelle sensation de déjà entendu, l’impact du texte, écrit par Messiaen lui-même et d’une vraie valeur poétique, joue un rôle non négligeable, sous réserve évidemment que la chanteuse parvienne à en faire entendre l’essentiel. Et là, accordons à Yvonne Naef, confrontée à une redoutable partie de « grand soprano dramatique » (la mention figure dans l’intitulé même du recueil), d’essayer de préserver la limpidité d’un maximum de phrases, par-dessus le tintamarre d’un orchestre parfois déchaîné.



Ce courage méritoire a aussi des conséquences plus néfastes : après la courte pause d’un très beau Prélude de Tristan et Isolde, la soliste paraît à court d’énergie au moment d’attaquer le Liebestod final. La voix n’en peut plus, bouge, perd ses couleurs, frôle même l’accident avant de retrouver un reste de vigueur pour triompher avec honneur des dernières phrases. Programme lourd, trop lourd sans doute, pour l’artiste distinguée mais pas infatigable qu’est Yvonne Naef, à vrai dire peu souvent ménagée par Sylvain Cambreling, brillant, emporté, mais qui aurait pu se montrer plus attentionné envers sa chanteuse d’un soir. Une fin hasardeuse, pour un concert subtilement composé mais techniquement ardu.




Laurent Barthel

 

 

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