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Autour d’une baignoire

Strasbourg
Opéra du Rhin
01/11/2008 -  et les 14, 23, 26 janvier à 20 h, le 20 janvier à 15 h, le 3 février à Mulhouse (La Filature) à 15 h
Richard Strauss : Elektra
Janice Baird (Elektra), Therese Waldner/Nancy Weissbach (Chrysothemis), Jadwiga Rappé (Klytämnestra), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Aegisth), Jason Howard (Orest), Yves Ernst (Pfleger), Sophie Angebault (Aufseherin), Agnieszka Slawinska (Vertraute), Mayuko Yasuda (Schleppträgerin), Edmundas Seilius (Junger Diener), Jesùs de Burgos (Alter Diener), Marie-Noële Vidal (1. Magd), Ciara Hendrik (2. Magd), Karine Motyka (3. Magd), Laure Delcampe (4. Magd), Marie-Paule Dotti (5. Magd)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Daniel Klajner (direction musicale)
Stéphane Braunschweig (mise en scène et scénographie), Georges Gagneré (reprise de la mise en scène), Thibault Vancraenenbroeck (costumes), Marion Hewlett (lumières)

En 2002 la première édition de cette production d’Elektra marquait l’apogée du mandat de Rudolf Berger et Jan Latham-Koenig à l’Opéra du Rhin. Un équilibre parfait entre une mise en scène fouillée et une réussite musicale éblouissante, qu’il était tentant d’essayer de reconstituer quelques années plus tard. Cette production facilement disponible est par ailleurs directement congruente avec l’actuel projet artistique développé par Nicholas Snowman, mettant en perspective diverses œuvres sur des sujets issus de la mythologie grecque, des Troyens à Iphigénie en Aulide et Idomeneo.


Malheureusement, pour cette reprise à reconstituer (la distribution a beaucoup changé) Stéphane Braunschweig n’a pu que superviser le travail de reconstitution de la mise en scène, reprise pour l’essentiel par un assistant, et le résultat s’en ressent. Peut-être aussi par manque de répétitions, voire de disponibilité des principaux interprètes pour un vrai travail de fond, les ressorts semblent relâchés. Tout particulièrement Janice Baird dans le rôle-titre accomplit une sorte de chorégraphie pré-programmée, semblant se remémorer au fur et à mesure les figures à réaliser, et parfois laborieusement. Un malaise diffus semble contrecarrer l’instinct naturel de cette vraie bête de scène, qui paraît presque obligée de compter ses pas sous peine de se retrouver au mauvais endroit pour la réplique suivante. Les gestes fatidiques manquent de nécessité, les mains se brandissent sans tension, les attitudes contraintes relèvent parfois davantage de la gymnastique que de l’expression de conflits profondément ressentis… à vrai dire tout le monde souffre un peu de ce problème en début de soirée, l’apparition de Klytämnestra parvenant ensuite à mieux catalyser les énergies, ce qui permet enfin de se laisser happer par un spectacle qui auparavant ne captivait pas.



Optiquement, tout reste idéalement beau, peut-être moins bien éclairé que naguère, mais il est possible que les souvenirs soient trompeurs. Stéphane Braunschweig lui-même signe le décor, très simple : un lit défait, de grandes parois rouge sang, un sol carrelé de noir profond et quelques emprunts pertinents à l’esthétique viennoise début de siècle suffisent à créer une ambiance à la fois élégante et inquiétante. En particulier le rôle essentiel joué par quelques courts escaliers de marbre et une grande baignoire blanche, d’une perfection de proportions digne des plus beaux objets des «Wiener Werkstätte», est particulièrement heureux. Un dispositif hanté par Klimt et Joseph Hoffmann, en contraste total avec les habituelles arrière-cours pouilleuses où se déroulent le plus souvent les mises en scène d’Elektra. Direction d’acteur sobrement tendue, ou qui devrait l’être, absence totale de figuration surnuméraire (pas de défilés d’esclaves en petite tenue, pas de chariots fumants recouverts de barbaque, et moins encore de sévices corporels longuement soulignés), ce parti pris d’élégance n’empêche nullement l’installation progressive d’un malaise de plus en plus prégnant. À plus d’un titre cette production, même mal remontée, reste exemplaire, et ses dernières minutes, centrées autour du rôle hitchcockien joué subitement par la baignoire centrale, sont toujours aussi subtilement anxiogènes. Bref, on n’en sort pas indemne, et sans doute plus profondément chaviré que par maintes productions orientées sans modération vers la surenchère gore.



À la tête d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg en grande forme, auquel les difficultés concentrées d’Elektra réussissent toujours aussi bien, Daniel Klajner impose des débordements plus sobres que ceux déchaînés naguère par Jan Latham-Koenig. On a davantage l’impression d’assister avec une version quelque peu réduite, ce qui est d’ailleurs objectivement le cas (ne serait-ce que pour des dimensions de fosse, on a toujours utilisé à Strasbourg l’effectif revu à la baisse par Strauss lui-même, en vue de représentations dans des théâtres de moindres dimensions). On y perd sans doute en décibels, mais la subtilité de l’approche est finalement convaincante, la permanente titillation sensorielle exercée par de multiples détails instrumentaux se révélant diaboliquement efficace.


L’attention portée par le chef aux chanteurs est par ailleurs soutenue, ce qui aide Janice Baird à batailler avec un rôle qu’elle domine de façon inégale. Les fluctuations de qualité de timbre voire de justesse de cette voix de grand format ne laissent d’ailleurs pas d’étonner, avec de soudains dérapages sur des passages peu exposés alors même que la difficulté précédente est parfois superbement négociée. Condamnée pour raisons de santé à mimer son rôle, Nancy Weissbach doit laisser la partie vocale de Chrysothémis à Therese Waldner, arrivée d’Allemagne en catastrophe : prestation évidemment prudente mais techniquement superbe, malheureusement défavorisée par l’acoustique du coin de fosse où l’interprète est reléguée. Visuellement le doublage fonctionne bien. Auditivement le résultat est parfois plus perturbant, surtout quand on entend deux Chrysothemis au lieu d’une, Nancy Weissbach prise par son rôle ne parvenant pas toujours à s’empêcher de chanter. Jadwiga Rappé incarne une Klytämnestra captivante, vocalement délabrée juste ce qu’il faut, mais conservant une impressionnante autorité d’intonation. Excellente distribution masculine, avec le toujours très sobre Jason Howard en Oreste et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, presque trop stylé pour incarner la brève partie d’Aegisth. Longue ovation finale, à la mesure de l’état d’excitation nerveuse atteint par le public au terme d’une soirée de plus en plus intense.




Laurent Barthel

 

 

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