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Pierre Boulez à domicile

Baden-Baden
Festspielhaus
09/26/2007 -  et 29 (Amsterdam), 30 (Paris) septembre, 1er (Frankfurt), 2 (Essen), 3 (Berlin) octobre 2007
Mark Andre : „…auf… II” (2005-2007 - création mondiale) ,
Edgard Varèse : Amériques, (1920-21/rev.1929)
Matthias Pintscher : Towards Osiris, Study for Orchestra (2005)
Pierre Boulez : Notations I, II, II, IV, VII (1980-98)

Ensemble Modern Orchestra, Pierre Boulez (direction)

Baden-Baden est bien davantage un lieu de villégiature qu’une véritable cité, et y construire il y a dix ans l’une des plus grandes salles d’Europe visait forcément un public appelé à se déplacer de loin. Cette notion de distance, à partir de tout un réseau de villes moyennes allemandes, voire françaises et suisses, implique des affiches suffisamment tentantes pour inciter un large public à voyager, voire payer des prix d’entrée élevés. Or, malheureusement, notre musique contemporaine savante occidentale n’appartient toujours pas à cet univers-là…


Exception absolue d’un soir, pouvoir écouter dans le vaste et confortable cadre du Festspielhaus des musiques de jeunes compositeurs comme Mark Andre ou Matthias Pintscher relève donc de l’expérience inédite, remarquablement concluante sur le plan sonore. La qualité exceptionnelle de l’acoustique permet en particulier d’apprécier jusque dans ses plus microscopiques détails la création mondiale de „…auf… II” de Mark Andre (compositeur né en 1964). Un pianiste côté cour et un autre côté jardin déploient toutes les ressources possibles du piano contemporain : instrument touché, frappé, gratté, devant, dessus, dedans… Entre ces deux pôles s’étend l’infra-musique d’une formation symphonique géante, laboratoire d’une production sonore délibérément non-conventionnelle, fascinant univers de souffles, frottements, résonances, soupirs, clapotis, heurts assourdis… Ecoutée dans un silence religieux l’œuvre paraît belle, l’autorité naturelle de Pierre Boulez semblant s’imposer tout autant à l’orchestre qu’au public, d’une rare concentration. Souvent aux confins de l’audible, mais évitant magistralement l’ennui, la pièce finit par se dissoudre dans le silence ambiant, les dernières battues du chef semblant n’être qu’un signal optique qui ne déclenche plus rien. Très beau succès pour Mark Andre, certainement un compositeur à suivre.


Impression plus banale pour Matthias Pintscher, compositeur de la même génération (il est né en 1971) dont „Towards Osiris” indiffère. Que cette ébauche manquant de personnalité ait pu servir d’alibi contemporain à Simon Rattle et sa Philharmonie de Berlin, voire que l’argument sous-jacent convoque Joseph Beuys et la mythologie égyptienne ne rajoute rien à la médiocrité intrinsèque d’une telle pièce, qui décline un langage contemporain au sens malheureusement le plus attendu du terme, convoquant sans projet nettement perceptible nappes instrumentales éparses et clusters cuivrés. L’exécution de l’Ensemble Modern Orchestra, extension démesurée et occasionnelle de l’ensemble Modern de Francfort, porte une petite part de responsabilité dans ce constat d’échec, la qualité instrumentale de certains pupitres, en particulier un solo de trompette plutôt faible, n’égalant pas celle de la Philharmonie de Berlin (dont l’interprétation de l’oeuvre est accessible sur un CD EMI, en complément des Planètes de Holst dirigées par Simon Rattle). Pour l’instant il ne s’agirait que d’un état préliminaire à une pièce de plus grande envergure annoncée en création par Pierre Boulez à Chicago en 2008. En l’état, ce n’est malheureusement que de la musique de fond pour festival de musique contemporaine subventionné, rien de plus.

Amériques de Varèse reste évidemment le point fort d’un tel concert, l’ouvrage étant rarement joué pour cause d’effectifs énormes. Dans le grand espace du Festspielhaus la densité des effets de masse trouve idéalement son champ de diffusion, sans effet de saturation. Mais Pierre Boulez parvient aussi à merveille à restituer dans les premières minutes ce qu’une telle partition doit encore à la tradition française d’un Debussy. Quelques tassements inévitables (les interventions de la sirène, surlignées lors d’enregistrements discographiques paraissent ici relativement discrètes), quelques aspects plus datés aussi (l’exubérance rythmique finale, avec ses allures de danse sacrale moderniste très «post-Sacre du printemps»…), mais un impact globalement inaltéré, celui d’un vrai classique du XXe siècle.

On peut déplorer en revanche que les gentillettes Notations fassent de plus en plus figure de classique boulézien, alors même qu’il s’agit de pièces insignifiantes. Certes leur brièveté et leur facilité relative d’accès en font de succulents appetizers dans les concerts des grandes formations symphoniques internationales, mais il est clair que même les prodiges d’orchestrateur déployés par Boulez dans la récupération de ces pièces pianistiques de jeunesse (1945) n’ont pas pu faire du neuf avec du vieux. On admire la subtilité du maniement de l’orchestre (le début de la VIIe Notation, d’une transparence irréelle), mais tout cela reste du domaine de l’anecdote marginale. Le vrai Boulez n’est pas-là, et le principal intéressé le sait d’ailleurs fort bien, dirigeant ce travail avec un rien de distance amusée (qui s’amenuise à l’heure du bis : la IIe Notation, répétée avec davantage d’engagement et d’efficacité immédiate).


Finalement la gageure a été tenue : impossible de remplir le Festspielhaus (on s’est d’ailleurs contenté d’ouvrir le parterre en laissant les balcons vides) mais l’effet d’attraction boulézien a quand même pu fonctionner pour un public numériquement conséquent, permettant à l’intendant Andreas Möhlich-Zebhauser d’afficher la satisfaction d’avoir pu attirer pour un soir en voisin Pierre Boulez, qui habite non loin de là. À noter une large présence française dans le public, le festival Musica voisin ayant profité de l’aubaine pour affréter de nombreux bus depuis Strasbourg et inclure d'autorité ce luxueux concert dans sa propre programmation, récupération opportuniste, efficace et remarquablement peu coûteuse. Le programme officiel du Festival de Baden-Baden ne cite même pas Musica parmi les coproducteurs du spectacle. En revanche Le Monde du 27 septembre titre : Pierre Boulez insuffle un vent de jeunesse sur le Festival Musica. On appréciera la saveur de ce genre de raccourci...



Laurent Barthel

 

 

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