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Falstaff ou la grande illusion

Tours
Opéra de Tours
03/16/2007 -  


Giuseppe Verdi : Falstaff


Franck Leguérinel (Falstaff), Evgueniy Alexiev (Ford), Maria Rey-Joly (Mrs Alice Ford), Svetlana Lifar (Mrs Quickly), Catherine Dune (Mrs Meg Page), Amira Selim (Nannetta), Sébastien Droy (Fenton), Léonard Pezzino (Dr Caïus), Antoine Normand (Bardolfo), Jean-Louis Mélet (Pistola)
Chœurs de l’Opéra de Tours et Orchestre Symphonique Région Centre-Tours, Jean-Yves Ossonce (direction)
Gilles Bouillon (mise en scène), Bernard Pico (dramaturgie), Nathalie Holt (décors), Marc Anselmi (costumes), Michel Theuil (lumières)

Falstaff apparaît comme un personnage assez complexe sous des dehors empruntés aux caractères cocasses qui peuplent l'univers de la comédie. On dirait presque un Don Juan, usé par les jouissances, devenu trop gras mais qui en aurait pris son parti, à moins que ce ne soit un séducteur maladif vivant dans la grande illusion (physique et mentale) de son pouvoir « irrésistible » passé ...



Pour mettre en branle un tel « monument », il faut prendre les traits d'un bon vivant à outrance, il faut croire en l'immensité - entretenue fièrement - de son estomac sans pour autant s'alourdir dans le chant. Franck Leguérinel joue l'élégance de la lourdeur, l'investissement du crédule Falstaff dans des missions rocambolesques. Cela fonctionne.



On voit, dans l'interprétation de Franck Leguérinel, la vivacité que l'imposant personnage engage lorsqu'il s'en prend à chacune de ses prétendues conquêtes, on perçoit aussi le double intérêt à séduire qu'a Falstaff : être aimé et palper les richesses de ces dames, épouses de riches maris.



Renforçant l'habileté du chanteur, l'Orchestre Symphonique de l'Opéra de Tours, sonorité ronde, favorise puis soutient l'encrage du personnage dans une pâte sonore digne des grandes productions lyrico-romantiques.



Autour de Sir John, Bardolfo et Pistola. Antoine Normand (Bardolfo) semble s'amuser davantage que Jean-Louis Mélet (Pistola) avec le versant théâtral italien du rôle lyrique, avec la mobilité corporelle que sollicite souvent le metteur en scène Gilles Bouillon. Les joyeuses « fausses promises », les commères de Windsor, sont à la fois ridicules et totalement sympathiques, aussi pimpantes de brio vocal que débordantes de vie dans leurs robes à fleurs volontairement surannées (signées Marc Anselmi) au beau milieu de leur jardin, ravissant comme le printemps.



Dans cette production, comme toujours, Gilles Bouillon sait ce qui fait rire : les deux pitres de comédie retournent au service de Falstaff en se donnant des coups de fouet, la Mercure femelle qu'est Mrs Quickly fait passer son message en vendant ses charmes avec audace auprès d'un Falstaff visiblement troublé, le jaloux, excellemment interprété par Evgueniy Alexiev (Ford-Fontaine en costume insolite very british touch) fait une série de courbettes de plus en plus nerveuses à l'impudent séducteur.



Comme dans Les Noces de Figaro, le complot des femmes sévit. Les hommes n'ont qu'à bien se tenir. Surtout l'énorme Falstaff. Elles sont rusées. Et cette ruse est rudement bien jouée...Sur un magnifique parterre d'herbe verte recouvrant la scène, Maria Rey-Joly (Alice), Svetlana Lifar (Mrs Quickly), Catherine Dune (Meg) mènent avec Amira Selim (Nannetta) un quatuor féminin inspiré par une rouerie considérable. Pourtant, elles ne sont jamais d'insupportables commères, Gilles Bouillon réussit à transmettre au spectateur une réelle joie à les voir organiser la rude humiliation que vont subir l'égocentrique Sir John et sa bedaine sacrée. Même si cette gaieté est celle de la vengeance, qu'importe


Dans le quartier des femmes, échafauder un traquenard requiert une discipline certaine avec laquelle on plaisante peu : chacune campe avec sérieux son rôle. On retrouve avec joie des situations de « mise en scène dans la mise en scène », le vocabulaire du théâtre, très présent dans le livret, permet de beaux moments complices. A l'écoute, la musicalité des échanges étonne car l'écriture est serrée, les répliques, rapides : on gagerait qu'il n'y a pas assez de temps pour faire respirer les sons et pourtant l'auditeur peut à loisir percevoir l'intéressante distribution des différents timbres vocaux féminins. Ensuite, il faut voir comme ces femmes sont poseuses à la lecture de leurs lettres, cabotines pendant la scène de la séduction, comme investies d'une mission, cachées dans les buissons, attendant le signal pour plonger Falstaff dans le panier à linge. Ce sont là des tableaux merveilleux, très visuels, baignés dans une lumière chaude. L'irruption du mari jaloux renforce encore le rythme soutenu de la partition. L'action prend presque un côté thriller parce que les personnages n'ont peur de rien, se ruent dans l'enchaînement des événements comme inconscients de leur violence à agir. L'orchestre, conduit par Jean-Yves Ossonce, quasi rossinien, est épatant de précision.



Michel Theuil, dévoué aux lumières, réalise un formidable travail de reconstitution d'ambiances lumineuses naturelles recréant, entre autres, les rayons du soleil dans un jardin propret ou une nuit bleutée dans une forêt magique. Cependant, l'essentiel du rendu poétique de l'ouvrage réside dans la scénographie de Nathalie Holt, du premier tableau, à l'auberge, où Falstaff chevauche un destrier à bascule dans sa chambre à l'imposante descente d'un tronc de chêne sur la scène, au clair de lune, pendant la nuit du chasseur. C'est précisément ces touches successives, ces appels à l'onirisme du décor qui finissent par instaurer le monde féerique du dernier tableau, peuplé d'elfes et de fées qui dansent dans leurs étranges habits de la nuit de sabbat. Ainsi la mascarade s'évade loin d'un possible ridicule, c'est une réelle tension (joliment relayée par les pizz des basses et le sautillé des violons) que ressent l'auditoire. Le choeur de l'Opéra de Tours et les chanteurs restituent la délicate fugue finale avec maestria puis la morale tombe : «Tout au Monde n'est que plaisanterie.» Ça y est, Falstaff est puni pour la seconde fois. Pourtant, il s'était bien rendu compte de l'abus, rempli d'eau comme une outre au lever de rideau de l'acte précédent mais il lui fallait encore une leçon...qu'il oubliera sûrement.



Pauline Guilmot

 

 

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