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Une journée chez les fous

Salzburg
Haus für Mozart
08/12/2007 -  & les 15, 17, 22, 24, 26 & 28 août
Wolfgang Amadeus Mozart: Les Noces de Figaro
Gerald Finley (le Comte), Dorothea Röschmann (la Comtesse), Diana Damrau (Suzanne), Luca Pisaroni (Figaro), Martina Janková (Chérubin), Marie McLaughlin (Marcelline), Franz-Josef Selig (Bartholo), Patrick Henckens (Basile), Oliver Ringelhahn (Don Curzio), Eva Liebau (Barberine), Gabor Bretz (Antonio), Uli Kirsch (Cherubim)
Chœur de l’Opéra de Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, Daniel Harding (direction)
Claus Guth (mise en scène)

Ces Noces de Figaro sont la seule production reprise de l’exhaustif « Mozart 22 » de l’année passée – avec le délicieux et inventif spectacle de marionnettes réalisé à partir d’une mise en abyme de Bastien et Bastienne dans Le Directeur de théâtre. Elle n’a rien perdu de sa force, même si elle heurte toujours ceux qui n’apprécient guère qu’on leur montre autre chose que ce que le texte et la musique nous disent. Sous les auspices d’Ibsen, de Strindberg et de Bergman, Claus Guth persiste et signe. Et si le Comte avait déjà séduit Suzanne ? Et si Suzanne, nonobstant sa fidélité à Figaro, y avait pris goût ? Et si la Comtesse se prêtait à des jeux fort libertins avec Chérubin… en compagnie de Suzanne ? Et si la folle journée était une journée chez les fous, chez les malades d’Eros, étouffant dans le huis clos d’un hôtel particulier fin de siècle, aux murs blancs – comme ceux d’une clinique chic ? Le thème du festival, après tout, n’est rien d’autre que « le côté nocturne de la raison ». Pas de jardin, pas d’air pur : tout est confiné ; il y a bien des oiseaux, mais ce sont des cadavres de corbeaux noirs.


Danse des fous, danse macabre presque : un Cupidon ailé en costume de collégien, sorte de petit lutin précoce et pervers, qui ressemble fort au Tadzio de Mort à Venise de Visconti, double dansant de Chérubin, sème le désordre, ou plutôt la panique, prend tous les personnages dans ses griffes, luttant avec eux dans des corps à corps violents, jusqu’à les rendre parfois schizophréniques - Suzanne et la Comtesse écrivent la lettre avec une de ses plumes. Sur un point au moins on ne prendra pas le metteur en scène en défaut : le libertinage, qui va très loin, comme si les personnages étaient sans cesse en quête d’une part d’eux-mêmes qu’ils n’arrivent pas à assumer. On trouverait presque quelque chose de métaphysique dans cet érotisme-là. A quels jeux se sont livrés, se livrent ou vont se livrer tous ces couples qui se font, se défont et se refont ? Eloquente fin du deuxième acte : tous se lancent dans une chorégraphie faussement jubilatoire avant de s’effondrer, tandis que leurs noms s’affichent, appariés par des flèches suggérant tous les appariements possibles. A la fin du troisième, Figaro s’en va seul alors que Suzanne enlève sa couronne de mariée. Le lieto fine ? On n’y croit plus. Reste à savoir, évidemment, si on assiste vraiment aux Noces de Figaro – on touche là un point crucial de la mise en scène aujourd’hui. Cela dit, même si on refuse d’adhérer, on ne peut pas ne pas reconnaître la cohérence du propos, le formidable travail de direction d’acteurs – jusqu’à ce jardiner moins ivrogne truculent qu’âme damnée du Comte, chargé des basses besognes, entre le flic et l’espion. Les chanteurs se révèlent d’extraordinaires comédiens se pliant à tout, ce qui est parfois physiquement très éprouvant – le Comte doit chanter la partie rapide de son air avec Cupidon sur ses épaules… Tout a un sens, même ces gestes mécaniques, qui font des personnages des automates. La production, de plus a gagné en humour, prend mieux en compte la dimension bouffe de l’œuvre.


La distribution, en grande partie, a changé. Mais c’est d’abord Daniel Harding qui remplace Nikolaus Harononcourt, dont les lenteurs se toléraient à peine (lire ici). Les récitatifs ne vont certes pas très vite, ce qui eût été contraire aux intentions du metteur en scène, mais, cette fois, on ne s’ennuie jamais et Les Noces ont moins l’air d’un Requiem. Cela dit, le jeune chef anglais ne convainc guère, peu attentif aux chanteurs, peu raffiné, parfois désordonné dans les finales, jamais poétique, n’arrivant heureusement pas, quand les timbres jouent un rôle essentiel, à assécher les sonorités de la Philharmonie de Vienne. Déjà Comtesse en 2006, Dorothea Röschmann, dont la voix semble avoir définitivement perdu sa fraîcheur d’antan, ne nuance pas davantage cette année, chantant le premier air en force, le second sans nuance – certes le personnage est ici hystérique, sans cesse au bord de la crise ou en crise, sans une once de cette aura dont l’a nimbée toute une tradition… Epoustouflante en Reine de la nuit l’an passé (lire ici), Diana Damrau est beaucoup plus Suzanne qu’Anna Netrebko, mais n’en a pas moins du mal à plier son colorature à la tessiture centrale du rôle, malgré un très joli Air des marronniers. Moins garçon que Christine Schäfer, plus ambiguë, Martina Janková connaît les mêmes problèmes de tessiture : la voix est trop aiguë pour Chérubin et passe mal dans le premier air, ne s’épanouissant vraiment que dans la Romance. Franz-Josef Selig et Marie McLaughin – cette année privée de son air - étant égaux à eux-mêmes, le Comte et Figaro font le prix de la soirée. Moins maladivement névrosé, visiblement plus fougueux sexuellement que Bo Skovhus, refusant d’abdiquer devant l’adversité ou devant ses désirs, le Comte de Gerald Finley affiche aussi une tout autre santé vocale, superbe de ligne, homogène de timbre et de tessiture, pleinement identifié à un rôle qu’il chante depuis longtemps. Beau Figaro de Luca Pisaroni aussi, moins rebelle que d’Ildebrando d’Arcangelo, victime désignée de la folie pulsionnelle des autres, plus concentré, un air vaguement intello rêveur et tourmente derrière ses lunettes, vocalement souple et stylé. Bref, pour la musique, ce sont les hommes qui ont gagné.


Une production parfois déroutante, mais toujours passionnante.



Didier van Moere

 

 

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