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Une forêt peu enchantée Salzburg Felsenreitschule 07/28/2007 - et les 2, 4, 7, 11*, 13 & 18 août Joseph Haydn : Armida Annette Dasch (Armida), Michael Schade (Rinaldo), Elena Tsalagova (Zelmira), Vito Priante (Idreno), Richard Croft (Ubaldo), Bernard Richter (Clotarco)
Orchestre du Mozarteum de Salzbourg, Ivor Bolton (direction)
Christof Loy (mise en scène)
Quand les soixante-huitards invitaient à faire l’amour et pas la guerre, se référaient-ils à l’histoire d’Armide ? Le conseil eût valu en tout cas pour le Rinaldo de l’opéra de Haydn : comme il refuse de s’abandonner à l’amour, il continue à faire la guerre. Délaissant la dimension héroïque du mythe, malgré l’appellation dramma eroico, le compositeur de La Création s’est surtout intéressé à la relation difficile entre Armida et Rinaldo, aux ruptures plus qu’aux idylles, nous offrant avant tout un opéra intimiste. C’était une bonne idée de rappeler à Salzbourg, après l’intégrale Mozart de l’année dernière, que Haydn s’est aussi illustré dans l’opéra, même s’il y a mis moins de génie. Et d’anticiper le deux centième anniversaire de sa mort, en 2009.
Sacré metteur en scène de l’année par le magazine Opernwelt, Christof Loy n’a guère tiré de parti de cette Armida. Le cadre de la Felsenreitschule était-il trop imposant ? Pas si sûr, à condition de l’exploiter, là où Dirk Becker se contente de placer sur la scène un empilement de planches façon camp retranché de Vercingétorix pour symboliser les murailles du palais de la magicienne, ainsi qu’un plan incliné sur lequel se précipitent les troupes de l’un ou l’autre camp, habillées de bleu – les Chrétiens – ou de rouge – les Sarrasins -, étrangement coiffées d’un casque de cycliste. Pour le drame lui-même, le metteur en scène a seulement brossé à gros traits l’opposition chancelante qu’il voit entre les deux univers de la raison et du sentiment, mutuellement contaminés – rappelons que le thème du festival est cette année « le côté nocturne de la raison ». On a finalement un mélange assez attendu d’éléments bien connus : de l’érotisme, de la violence, avec une pincée de symbolique et une once de modernisation. L’érotisme, ce sont ces corps qui se touchent, s’enlacent, se dévorent. La violence, c’est le corps torturé du pauvre Clotarco, mais aussi celle de la passion lorsque Rinaldo s’apprête à détruire à la hache l’effigie de sa séductrice après l’avoir amoureusement dessinée. Le symbolique, c’est la chaise de paralytique sur laquelle est cloué le chef chrétien Ubaldo – a-t-on voulu, derrière ces lunettes noires, le faire ressembler au sinistre général Jaruzelski ? - incarnation d’une raison inhibante et délétère. La modernisation, c’est l’incendie que Rinaldo est près d’allumer avec un bidon d’essence, lorsque l’histoire nous dit qu’il va, en coupant le myrte, renoncer à l’amour. Cela dit, c’est du travail soigné, professionnel, avec des moments réussis, comme le ciel bleu qui apparaît progressivement à travers les arcades ou la scène de la forêt enchantée, au troisième acte. On attendait simplement plus de concentration, plus de tension, plus d’invention.
Musicalement, la fosse ne nous offre pas ce que la scène nous refuse. Ivor Bolton dirige à l’ancienne, avec notamment des cors naturels ; l’Orchestre du Mozarteum n’est pas sans qualités. Mais la précision, la clarté, la vivacité rythmique ne suffisent pas ; la baguette n’arrive ni à créer des atmosphères – notamment dans la forêt enchantée, une des plus belles inspirations de l’opéra et de Haydn en général, ou l’on sent poindre la future Création - ni à animer le drame. Bref, on s’ennuie. L’intérêt de la production vient des voix. Aminta dans Le Roi pasteur l’année dernière (lire ici), Annette Dasch assume cette fois avec superbe le difficile rôle de l’enchanteresse : la voix, qui a du corps et du bouquet, ne s’épuise ni ne se durcit dans l’air de fureur du deuxième acte, s’arrondit sensuellement dans les invitations à l’amour, avec des registres toujours parfaitement soudés, laissant seulement beaucoup à désirer dans le travail sur les couleurs. Mozartien accompli, Michael Schade, hôte régulier de Salzbourg, ne pouvait que trouver en Rinaldo un emploi à sa mesure : la souplesse de l’émission fait merveille dans la forê Me référant à votre courrier électronique du janvier (à compléter), t, avec un récitatif extasié, la rondeur du timbre convenant idéalement à l’amoureux transi et déchiré. Richard Croft, cependant, ne lui cède en rien, tout aussi exemplaire, si bien que les deux ténors apparaissent parfois moins comme des ennemis que comme des doubles, ce qui offre d’intéressantes perspectives. Remplaçant Mojca Erdmann, la jeune Elena Tsallagova, pensionnaire de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, où elle chantera cette saison dans Capriccio et la Femme sans ombre, impressionne aussi bien par qualité de la voix – nonobstant un zeste de citron dans le timbre – que par la sûreté de la technique : cette Zelmira fruitée, qui vocalise à ravir et ne craint pas les aigus attaqués pianissimo, aux phrases enjôleurs, a certainement une belle carrière devant elle. Vito Priante, en revanche, peine un peu à trouver dans Idreno les graves de sa belle voix de baryton et doit attendre son air du deuxième acte pour s’assouplir vraiment. On lui préfère le ténor Bernard Richter, déjà remarqué dans l’Hylas des Troyens à l’Opéra Bastille, très stylé et très à l’aise dans le troisième rôle de ténor de l’opéra.
A défaut d’être enchantée, la forêt est plutôt bien fréquentée.
Didier van Moere
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