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Tapas musicaux

Paris
Théâtre des Bouffes du Nord
06/04/2007 -  et 15 octobre 2007 (Théâtre de l'Atelier)
Johann Sebastian Bach : Fantaisie chromatique et fugue, BWV 903
Jonathan Keren : Fantaisie, mais deux fantastrophes (création)
Johannes Brahms : Intermezzo et Capriccio extraits des Fantaisies, opus 116 n° 2 et n° 7
Arnold Schönberg : Six petites pièces, opus 19
György Ligeti : Musica ricercata (deux extraits)
Leos Janacek : Sonate «1er octobre 1905»
John Cage : Sonates pour piano préparé n° 5 et n° 12
Wolfgang Amadeus Mozart : Fantaisie, K. 475

David Greilsammer (piano)


David Greilsammer aime visiblement remettre en question le rituel du concert: au cours de sa précédente apparition à Paris (voir ici), il avait déjà (d)étonné par son apparence (un costume gris moiré) et, surtout, par la première partie de son programme, entremêlant étroitement Schönberg, d’une part, Bach, Rameau et Scarlatti, d’autre part. Mais il va encore plus loin dans ce récital, intitulé «fantaisie_fantasme» et donné aux Bouffes du Nord, qui fera l’objet d’une parution chez Naïve en août prochain: non seulement il arbore désormais de rutilants souliers vernis couleur chocolat et, faute de tourneur de pages, jette au fur et à mesure sur le sol les partitions préalablement photocopiées et assemblées, mais il a minutieusement ordonné sa sélection de pièces portant le titre de «fantaisie» ou présentant un caractère de fantaisie.


Un ensemble qui, selon le pianiste israélien, constitue à son tour une immense fantaisie, articulée en forme d’arche (ou en miroir): la Fantaisie en ut mineur (1785) de Mozart est entourée de deux des Sonates pour piano préparé (1948) de Cage, lesquelles sont elles-mêmes encadrées par les deux mouvements de la Sonate «1er octobre 1905» de Janacek. Ces cinq moments constituent le volet central d’un triptyque dont les deux volets extérieurs poursuivent cette construction concentrique autour de Mozart, comme des poupées russes que l’on sortirait l’une après l’autre, de la première à la dernière, avant de les remboîter à rebours, de la dernière à la première: deux extraits de Musica ricercata (1953) de Ligeti, les Six petites pièces (1911) de Schönberg, deux des Fantaisies de l’opus 116 (1892) de Brahms, la création de Fantaisie, mais deux fantastrophes de Jonathan Keren (né en 1978) et, respectivement en exorde et en péroraison de ces plus de soixante-quinze minutes jouées sans interruption, les deux parties de la Fantaisie chromatique et Fugue de Bach. Une conclusion qui tient du happy end: en effet, après toutes ces fantaisies parfois fantasques (Cage, Ligeti), la stricte discipline contrapuntique reprend finalement ses droits.


Non seulement le concept a de quoi de séduire, variante de small is beautiful, proposant un élégant zapping musical à une époque où même la gastronomie s’est mise aux tapas et au grignotage, mais l’effort d’imagination et le souci de renouvellement du répertoire, s’étendant en l’espèce de Bach à nos jours, méritent d’être salués, alors que tant de prestations paraissent tristement formatées. Mais cela ne saurait bien entendu suffire: les rapprochements imposés par cette démarche comportent nécessairement un élément de subjectivité auquel l’auditeur n’adhérera pas nécessairement («un ordre insolite et pourtant si naturel à mes yeux», ainsi que Greilsammer le consent lui-même); en outre, si l’on peut passer sur le fait que certains compositeurs (Bach, Janacek, Keren) n’avaient sans doute pas prévu le fractionnement de leur musique, ce défilé de pièces généralement assez brèves soulève des problèmes de concentration, nécessitant un incessant effort d’adaptation de la part du public comme de l’interprète.


Au demeurant, sont ici regroupées sous la bannière de «fantaisie» des pages de nature très diverse, à l’image des nombreuses acceptions du terme, quand bien même la plupart d’entre elles portent ce titre. Et ce récital atypique ne s’interdit pas pour autant de remercier les spectateurs par des bis: à nouveau Cage puis Ligeti et, enfin, la quatorzième des Danses des compagnons de David (1837) de Schumann, clin d’œil d’un autre David en même temps que révérence à l’un de ceux qui ont le mieux illustré le Phantasieren.


Au-delà de ces considérations sur le choix et l’agencement des œuvres, qui défie le traditionnel commentaire linéaire, Greilsammer confirme un indéniable sens dramatique aussi bien dans Janacek – une Sonate qui tient ici indéniablement de la fantaisie – que dans Bach, avec une Fugue passant progressivement d’un minutieux sotto voce gouldien, presque excessivement maniéré, à un déferlement de puissance et de romantisme digne d’une transcription de Busoni. Superbement «préparé», le piano de Cage réserve des sonorités réjouissantes, de même que le regard distancié de Ligeti sur un folklore à la Bartok ou à la Copland. Bien que de style composite, associant souvenirs de Berg et gestes hérités du jazz, le cycle de Keren, où la fantaisie bascule en catastrophe pour devenir «fantastrophe», aura pourtant paru quelque peu monocolore. Même dans des Brahms et des Schönberg volontiers extravertis et expressifs, le pianiste semble avoir du mal à se départir d’une certaine tension, voire d’une raideur et d’un manque d’assurance, qui déçoivent quelque peu dans Mozart, alors même qu’il lui a rendu justice de manière si convaincante au disque dans trois de ses concertos (voir ici).



Simon Corley

 

 

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