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Folies sans romantisme

Strasbourg
Opéra National du Rhin
05/04/2007 -  et les 6 et 9 mai à Mulhouse, les 14, 16*, 18, 20, 22 et 24 mai à Strasbourg, les 1er et 3 juin à Colmar
Donizetti : Lucia di Lammermoor
Tatiana Lisnic (Lucia), Joseph Calleja (Edgardo), George Petean (Lord Enrico Ashton), Marc Laho (Lord Arturo), Giorgio Giuseppini (Raimondo), Carolina Bruck Santos (Alisa), Roger Padullés (Normanno), Thomas Bloch (Glassharmonica), Orchestre Symphonique de Mulhouse, Giuliano Carella (direction), Steinn Winge et Halldis Hoaas (mise en scène), Johannes Schütz (décor), Kari Gravklev (costumes), Franz David (lumières)

Lucia di Lammermoor est le seul opéra «sérieux» de Donizetti à s’être maintenu sans éclipse depuis sa création. Mais il s'agit malheureusement aussi de l’un des titres du grand répertoire les plus constamment défigurés, qui n’a dû longtemps son audience qu’aux numéros de pyrotechnie vocale que certaines divas y détaillaient avec l’aplomb d’acrobates de cirque. Un destin nettement infléchi dans les années 1950 grâce à deux tempéraments exceptionnels : Maria Callas et Herbert von Karajan. La première démontrait enfin qu’il était plus gratifiant de se consumer dans le rôle de Lucia que d’en escalader simplement les difficultés avec brio, et le second qu’un tel opéra n’était pas qu’affaire de voix mais aussi d’ambiances crépusculaires, sombrement romantiques, raffinées, élégiaques… un dépaysement musical que l’orchestration de Donizetti, même schématique, était susceptible de favoriser sans raideur. Une leçon bien comprise depuis lors, avec la renaissance véritable d’un répertoire belcantiste chanté dans des conditions décentes, au moins au disque. En revanche, dans la vie quotidienne des théâtres…


Monter une Lucia di Lammermoor convaincante, c’est évidemment d’abord la confier à des chanteurs stylistiquement compétents. Mais on devrait se garder d'oublier que la fragilité de ce splendide exemple de romantisme en devenir requiert aussi de vrais égards scéniques et orchestraux, sous peine d’en annihiler le pouvoir d’évocation encore vacillant. La folie de l’héroïne et son environnement familial brutal ne sont certes pas des situations spécifiques du premier romantisme, en revanche c’est un filtrage tout à fait caractéristique des convenances d’une époque qui vient y moduler l’expression des sentiments, même violents. Et c’est bien cette réserve, voire les abîmes qu’elle ne laisse qu’apercevoir, qui donne à l’ouvrage sa personnalité particulière. Avec pour corollaire la notion de dépaysement, qui rend certaines situations de barbarie sanglante plus facilement supportables quand elles sont nimbées de l’imprécision brumeuse d’une Ecosse lointaine. N’importe quel amateur de ballet récuserait vigoureusement une chorégraphie de La Sylphide dépouillée de ses tutus vaporeux au profit d’une relecture en costumes et décors d’un réalisme quotidien prosaïque. Que les mânes de Messieurs Schneitzhoeffer et Nourrit veuillent bien nous pardonner, mais tout un chacun a bien compris que sitôt évacué le ravissant emballage visuel d’un ballet pareil, il n’y a pas grand chose à trouver dedans. Et qu’à leur tour les belcantistes passionnés ne nous en veuillent pas trop : que reste-t-il à vrai dire d’exaltant et d’évocateur dans une Lucia di Lammermoor privée de ses non-dits et de ses ambiances surannées, fontaines, brouillards et autres clairs de lune, réduite à ses situations scéniques caricaturales et aux seuls persévérations d’une écriture vocale et orchestrale où le génie ne souffle pas à chaque mesure ?


Pas grand-chose ? C’est malheureusement le constat que suscite la timide production de l’Opéra du Rhin, pourtant signée par une équipe chevronnée, dont on a vu ailleurs des spectacles bien plus intéressants. Pendant plus de deux heures Stein Winge ne fait que nous réexposer les tics d’une théâtralité allemande impersonnelle déjà vue cent fois, d’une interchangeabilité fastidieuse. Le chœur des invités du mariage -tenues de soirée laidement chic et coupes de champagne- pourrait sortir de n’importe quelle mise en scène réactualisée de banquet qui tourne mal, de Macbeth à Tannhaüser, le chœur des chasseurs de l’Acte I -lodens et fusils gauchement brandis- pourrait fonctionner tout aussi mal dans des Freischütz ou Don Carlo modernisés, sans parler des sempiternels abus de chaises et tables rageusement renversées, voire de pistolets brandis à bout portant comme des jouets d’enfant. Et quand le résultat n’est pas plat, il devient maladroit : l’arrivée d’Alisa sur scène en bicyclette (comme la scène est trop petite il lui faut sans cesse entrer et ressortir pour éviter de tourner en rond sur place, ce qui détruit toute ambiance pour l’entrée du rôle-titre), l’affrontement Edgardo/Enrico, dont l’agressivité se défoule sur un malheureux jeu d’échecs renversé (les pièces n’en finissent pas de tomber par terre, une à une… à quoi bon maintenir cette scène, fréquemment coupée, si c’est pour en tirer un résultat aussi ridicule?)… Passons aussi sur un décor tout à la fois indigent et techniquement difficile à manier, scène blanche et vide meublée d’une gigantesque pale rectangulaire qui tourne lentement sur son axe vertical, surface noire d’un côté, miroir doré de l’autre… au bout d’une seule révolution de l’objet tout est dit, plus rien de nouveau n’interviendra. Seule exception : la Scène de la Folie, où il se passe enfin quelque chose. Mais là, c’est l’originalité même de la situation qui fonctionne, Stein Winge se contentant d’en amplifier habilement l’impact : cadavre complaisamment traîné par terre, hémoglobine ruisselant à volonté, dont l’héroïne en pleine bouffée délirante aiguë se sert pour dessiner des petits cœurs et des fleurettes sur l’immense miroir central… un moment fort, qui tranche d’autant plus sur un vide globalement désolant.


Pas grand-chose d’exaltant non plus côté fosse, où Giuliano Carella semble se désintéresser des timbres d’un Orchestre de Mulhouse en petite forme pour ne se consacrer qu’au soutien efficace des chanteurs et des choeurs, globalement bien accompagnés et assistés. Faute de mise en scène et d’orchestre décents, allait-on au moins avoir droit à des prestations vocales hors du commun ? Oui et non. Le jeune ténor maltais Joseph Calleja, très attendu, s’impose par un volume vocal généreux et un timbre d’une forte personnalité, mais accuse assez vite de nettes limites techniques dans la conduite du souffle, qui réduisent ses possibilités de nuancer. Si l’on en juge par les disques récents de Calleja, révélateurs d’un musicien beaucoup plus subtil, on peut espérer qu’il ne s’agisse là que d’une fatigue passagère (l’air final frôlera même l’accident à plusieurs reprises). Globalement, Tatiana Lisnic est une Lucia plus homogène mais aussi trop prévisible, sans l’engagement éperdu qui aiderait son personnage à exister. Vocalement on apprécie beaucoup que le rôle soit confié à un vrai soprano lyrique, doté d’une bonne assise dans le medium, et pas simplement à une voix légère au suraigu facile. Que Tatiana Lisnic crie ici ou là quelques notes, émises à l’arraché mais justes, n’a finalement qu’une importance secondaire. Côté tessitures graves les émissions sont rocailleuses et caverneuses mais les titulaires solides, quelques défaillances de détail étant plutôt à déplorer chez les deux ténors de second plan (Marc Laho, pas toujours très à l’aise, et Roger Padullés, voix prometteuse mais qui a du mal à stabiliser son chant, surtout au premier tableau). Signalons enfin l’usage opportun dans la Scène de la folie du glassharmonica initialement prévu par Donizetti, instrument historique perfectionné dans la seconde partie du XVIIIe siècle et dont les sonorités irréelles résonnent en correspondance évidemment idéale avec l’égarement de la chanteuse. Une originalité qui achève de singulariser cette belle scène, seul moment réussi d’une soirée trop inégale.





Laurent Barthel

 

 

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