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Mieux qu’un récital

Paris
Cité de la musique
03/07/2007 -  
Jean-Marie Leclair : Sonate opus 9 n° 3 «Le Tambourin»
Giuseppe Tartini : Sonate opus 1 n° 4 «Il Trillo del diavolo» (arrangement Fritz Kreisler)
Fritz Kreisler : Prélude et Allegro dans le style de Gaetano Pugnani
Igor Stravinski : Suite italienne
Alfred Schnittke : Suite dans le style ancien
Niccolo Paganini : Caprices opus 1 n° 1, n° 13 «La Risalta» et n° 17 – Introduction et Variations «I palpiti», opus 13
Maurice Ravel : Tzigane

Régis Pasquier (violon), Robert Levin (piano)


Dans une saison placée sous le signe du voyage, la Cité de la musique ne pouvait que s’intéresser aux différentes variantes géographiques d’un style qui a marqué, un siècle et demi durant, le monde musical. C’est l’objet du cycle «L’Europe Baroque» qu’elle propose du 5 au 13 mars, comprenant notamment un concert hors norme, intitulé «Le Baroque revisité», n’ayant en effet rien en commun avec ces récitals lisses et formatés qu’un duo répète chaque soir de ville en ville, de pays en pays, de continent en continent, jusqu’au même bis final. Bref, la musique comme métier, et non comme passion, à la différence de cette rencontre unique, de ces retrouvailles, même, entre deux vieux complices, Régis Pasquier et Robert Levin, autour d’un programme intelligemment conçu, montrant des artistes heureux d’être là et de faire partager leurs émotions ou leurs réflexions à un public qu’on aura jamais entendu si peu broncher, dans le cadre relativement intime de l’Amphithéâtre.


Une véritable expérimentation, en outre, tant pour le violoniste français, qui avouait ne pas s’y être précédemment livré dans de telles conditions, que pour le pianiste américain, certes plus familier de l’exercice. Car comme à son habitude, la Cité a puisé dans les collections du Musée de la musique pour enrichir sa programmation, et même si les instruments s’apparentent également à des objets d’art, comme le rappelle Pasquier, qui les couve d’ailleurs sans cesse d’un regard amoureux, il n’en reste pas moins que leur vocation est d’être utilisés, ce que Levin, dans l’impeccable français de celui qui a étudié en son temps avec Nadia Boulanger, rappelle avec humour au travers de la célèbre répartie que l’on prête à Heifetz (*).


Pas moins de quatre instruments avaient ainsi été mobilisés pour l’occasion, trois violons et seulement un piano, mais muni de ce fameux luthéal, pour lequel Ravel a écrit Tzigane (ainsi qu’une partie dans L’Enfant et les sortilèges): en 1987, Daniel Magne a reconstitué et installé sur un demi-queue à cordes parallèles (et non croisées) Erard (1890) ce double dispositif permettant de produire, à l’aide de manettes que le tourneur de pages contribuera à enclencher et à déclencher, des sons proches de ceux du cymbalum, d’une part, et du jeu de luth d’un clavecin, d’autre part. Tout au long de la soirée, les interprètes expliqueront leurs choix de registres et d’instruments et, compte tenu des contraintes inhérentes à la facture et à la difficulté de passer d’un violon à l’autre, le recours aux critères usuels d’appréciation, notamment techniques, pour ce réjouissant parcours entre originaux, imitations, pastiches et seconds degrés n’aurait dès lors pas grand sens.


D’emblée, dans la Troisième «Le Tambourin» des Sonates du Quatrième livre (1743) de Leclair, la distanciation prend le pas sur la rectitude musicologique: le violon est relativement récent – un Chanot (jeune) d’environ 1820 – mais il est monté avec des cordes en boyaux… et joué sans proscription du vibrato. «Arrangée» par Kreisler, la Sonate «Le Trille du diable» de Tartini ne recherche pas davantage une improbable authenticité, servie par un Stradivarius «Davidoff» de 1708 (un fameux violoncelle porte par ailleurs le même nom), remanié au début du siècle passé: que reste-t-il du XVIIIe? Pas une simple caricature, en tout cas, car Pasquier et Levin s’amusent sans malice, entretenant une belle complicité, le premier livrant par son legato la «crème chantilly» et le «cognac» annoncés par son comparse. Le Prélude et Allegro de Kreisler «dans le style de Pugnani» demeure dans le même esprit, d’autant que le panache de Pasquier bénéficie d’un accompagnement qu’on aura rarement vu aussi impliqué dans de telles pièces de genre.


Dès lors, le terrain est prêt pour la Suite italienne (1934) de Stravinski: «l’arrangeur arrangé», avec non seulement les changements de couleur dont Levin use, d’un mouvement à l’autre, de façon gourmande et opportune grâce à son piano-luthéal, mais aussi avec les graves d’une exceptionnelle solidité d’un Lupot de 1803, tirant du violoniste l’aveu qu’une carrière de luthier l’aurait également tenté. En début de seconde partie, le propos de la Suite dans le style ancien (1972) de Schnittke, pour violon (ou violoncelle) et piano (ou clavecin), semble d’inspiration identique: elle ne déçoit certes pas les attentes de son titre, mais avec un double regard, comme si le compositeur écrivait un pastiche baroque… à la manière dont il aurait pu être lui-même conçu par un musicien du tournant du siècle. Mais il épice la partition, ici ou là, de quelques échappées suspectes (une tournure rythmique incongrue, une faille inattendue en forme de dissonance), jusqu’à la figer comme une boîte à musique épuisée: le divertissement a alors perdu tout caractère aimable.


Suivent trois des vingt-quatre Caprices (1805), puis l’Introduction et Variations (1819) sur l’air «Di tanti palpiti» extrait de Tancrède de Rossini, pièces brillantes auxquelles la clarté et la précision du «Davidoff» siéent effectivement davantage, d’autant que Pasquier leur accorde l’abattage mais aussi l’élégance requis. Avec Tzigane (1924), c’est le retour du merveilleux Lupot, de sa carrure étonnante, de sa robustesse ici tellement appropriée, même s’il ne faut pas en même temps rater l’opportunité unique d’écouter les sonorités étranges du luthéal.


En bis, l’Adagio de la Quarante et unième sonate (1785) emmène les auditeurs, à point d’heure, dans un ailleurs peuplé de l’amitié et de la générosité de bienheureux mozartiens.


(*) Ayant été félicité de ce que son violon «sonnait bien», le violoniste aurait fait mine d’écouter l’instrument, sans en jouer, et répondu: «Moi, je n’entends rien».



Simon Corley

 

 

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