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Insaisissables caméléons

Paris
Maison de Radio France
03/04/2007 -  
Thomas Adès : America (A prophecy), opus 19
Michel Decoust : Concerto pour cor (création)
Igor Stravinski : Perséphone

Susan Bickley (mezzo), David Guerrier (cor), Sonia Petrovna (récitante), Philippe Do (ténor)
Maîtrise de Paris, Chœur Colonne, Patrick Marco (chef de chœur), Orchestre Colonne, Laurent Petitgirard (direction)


Bien qu’affichant complet – une fois n’est pas coutume pour les quatre week-ends qui viennent de s’écouler – le concert de clôture de «Présences 2007», confié à l’Orchestre Colonne et à son directeur musical, Laurent Petitgirard, ne s’est pas déroulé en la… présence de la vedette de cette édition. Thomas Adès a ainsi manqué une occasion d’entendre America (A prophecy) (1999), une cantate (?) dont il admet pourtant lui-même (*) qu’elle est condamnée à être rarement interprétée, en raison de l’important effectif qu’elle requiert, et ce pour à peine plus d’un quart d’heure seulement: mezzo solo, chœur (certes facultatif) et grand orchestre (bois par quatre). Il est vrai que sa propre prophétie semble loin de se réaliser, car si l’on en croit le site de son éditeur, la partition, qui connaissait ici sa première française, sera programmée à Londres puis à Berlin (à deux reprises) dès le mois prochain.


L’America en question est l’Amérique centrale, puisqu’il s’agit plus précisément de la destruction de la civilisation maya par la conquête espagnole, mais le sujet a certainement dû détonner parmi les commandes que l’Orchestre philharmonique de New York avait passées à six compositeurs pour les célébrations de l’an 2000. S’il a rétrospectivement acquis une toute autre résonance, le propos d’Adès consiste en un montage de textes issus de différentes sources – américaine, espagnole et maya – et présentés en différentes langues – anglais, espagnol et latin. Il se place à nouveau ainsi sur un terrain où on ne l’attend pas, y compris musicalement, avec une ligne de chant très dépouillée, en valeurs longues, entre incantation et déploration, accompagnée par un orchestre primitif et spectaculaire, voire grandiose et épais, mais aussi, pour deux brèves mais imposantes interventions, par le chœur: encore un objet sonore non identifié, fort habilement réalisé, entre la tradition britannique haendelo-elgarienne, d’une part, et les grandes fresques à la Villa-Lobos, d’autre part. Malgré quelques difficultés dans l’aigu, Susan Bickley alterne de manière très expressive, dans la partie soliste, voix blanche et couleurs plus chaudes.


Aurait-on parié sur Michel Decoust, autre insaisissable caméléon, dans un registre postromantique, germanique et mélancolique évoquant l’humeur d’un Philippe Hersant? Il a dédié son Concerto pour cor (2006) à David Guerrier, qui vient d’obtenir, comme en 2004, une «Victoire de la musique» («soliste instrumental de l’année») en tant que… trompettiste. Mais cette création ne peut évidemment intimider celui qui est par ailleurs premier cor solo de l’Orchestre national de France, d’autant que l’écriture de ces vingt minutes d’un seul tenant magnifie l’instrument, comme dans ce thème ascendant, d’une volupté straussienne, qui émerge d’une introduction sombre et méditative. La montée en puissance de l’orchestre conduit à un bref épisode animé, puis après une nouvelle transition de l’ombre vers la lumière, à une cadence. Les demi-teintes reprennent le dessus pour une conclusion où de délicats accords parfaits majeurs l’emportent finalement: une réussite aussi peu contestable que le caractère peu révolutionnaire du cadre qu’elle s’est visiblement fixé.


A l’âge d’un Adès que l’on juge de nos jours (et non sans raison) précoce, Stravinski possédait déjà entre autres à son actif ses trois grands ballets, Renard, la première version de Noces et L’Histoire du soldat. Il est ensuite passé d’un style à l’autre, au fil de ses différentes «périodes», avec une aisance apparente dont on aura sans doute du mal à trouver des équivalents de cette qualité au XXe siècle. Il est ainsi parfois difficile de le reconnaître dans la fraîcheur et la limpidité des trois parties enchaînées de Perséphone (1934), même si ces cinquante minutes d’esprit résolument néoclassique rappellent parfois la froideur et la monumentalité d’Œdipus Rex ou de la Symphonie de psaumes, en même temps que les rythmes pointés et la clarté d’Apollon musagète, tandis que telle ligne de basse au tuba renvoie aussi au Concerto pour violon.


La dénomination de «mélodrame» se justifie par le fait que le rôle-titre est confié à une récitante (Ida Rubinstein en son temps) dont la déclamation est généralement soutenue par l’orchestre, mais elle ne rend pas compte de la présence d’un ténor, qui se révèle comme le véritable récitant, incarnant Eumolpe, le fondateur des mystères d’Eleusis et de leur culte voué à Déméter, la mère de Perséphone (Proserpine dans la mythologie latine). Surtout, un chœur d’enfants et un chœur mixte viennent donner à l’ensemble son aspect si particulier, comme si les personnages de Maurice Denis avaient quitté le plafond du Théâtre des Champs-Elysées pour occuper la scène de l’auditorium Olivier Messiaen.


En long manteau noir et robe rouge traduisant la dualité entre hiver infernal et printemps terrestre, Sonia Petrovna tente de faire face à une poésie gidienne qui a quelque peu vieilli: son parti pris consiste précisément à assumer, voire à revendiquer le côté daté de cette inspiration homérique; le parti pris se défend, mais sa Perséphone, placée en retrait sur une estrade et, de ce fait, pas toujours très audible, oscille entre niaiserie et exaltation. En revanche, la vaillance et la qualité de la diction de Philippe Do, de même que l’implication, sous la houlette de Laurent Petitgirard, des forces chorales et orchestrales dans cette occasion de découvrir en concert une telle rareté, méritent d’être saluées.


Mais que penser de cette Perséphone – que Stravinski tenait lui-même en médiocre estime, se consolant toutefois de son autocritique en adressant à Gide quelques-unes de ses légendaires rosseries – pour clore une manifestation qui se veut un phare de la création contemporaine, et qui se doit même de l’être? Clin d’œil à (H)adès, l’époux de Perséphone? Rapprochement ultime entre deux compositeurs unis par un métier et une rouerie qui leur confèrent une étonnante capacité d’adaptation d’une œuvre à l’autre et, au-delà, à leur époque? Ou bien allégorie du Festival Présences, qui va abandonner sa forme actuelle – unité de temps et de lieu – pour offrir – en plusieurs temps, de septembre 2007 à mai 2008, et en plusieurs lieux, de Lille à Paris – ces moissons d’or que promet le quatrain final, si éminemment gidien: «Il faut, pour qu’un printemps renaisse/Que le grain consente à mourir/Sous terre, afin qu’il reparaisse/En moisson d’or pour l’avenir»?


(*) Information glanée, comme bon nombre d’autres tout au long d’un festival dédié à un compositeur encore jeune et qui se montre en outre peu enclin à s’exprimer sur son œuvre, dans la monographie d’autant plus précieuse que vient de lui consacrer Hélène Cao chez Musica falsa.


Le site de Michel Decoust



Simon Corley

 

 

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