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Quand Sachs ressemble à Wotan

Geneva
Grand Festspielhaus
12/10/2006 -  et les 14, 17, 20, 23, 28 & 31 décembre
Richard Wagner : Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg
Albert Dohmen (Sachs), Walter Fink (Pogner), Dietrich Henschel (Beckmesser), Andrew Greenan (Kothner), Klaus Florian Vogt (Walther), Toby Spence (David), Anja Harteros (Eva), Fredrika Brillembourg (Magdalene)
Chœur du Grand Théâtre, Ching-Lien Wu (direction), Chœur Orpheus de Sofia, Krum Maximov (direction), Orchestre de la Suisse Romande, Klaus Weise (direction)
Pierre Strosser (mise en scène et décors)

Ce devaient être les premiers Maîtres Chanteurs d’Armin Jordan. Le destin en a décidé autrement. Klaus Weise n’a pas seulement sauvé la production, il nous a offert une belle soirée. Si le premier acte accuse ici ou là des baisses de tension, la direction paraît d’emblée très claire, très souple, très attentive au caractère polyphonique de l’écriture. Elle prend ensuite pleinement son essor, ne manquant ni de poésie, ni de sensualité ni d’humour, sans pour autant lâcher la bride dans la fugue finale du deuxième acte, impeccablement conduite – le chœur y est, comme partout, admirable. A peine regrette-t-on un fléchissement de l’inspiration, au dernier acte, dans l’interlude orchestral et le défilé des corporations.
La qualité de la production tient également à l’homogénéité de la distribution. Albert Dohmen plie sa grande voix aux rêveries de Hans Sachs, qui semble ici incarner toute la mélancolie du monde, en particulier dans ses deux monologues, parfaitement nuancés, rompant avec une tradition de bonhomie un peu Biedermeier. De son côté, Dietrich Henschel renonce à donner dans l’image trop souvent véhiculée d’un Beckmesser grotesque : le Merker devient ici l’incarnation d’un ordre qui croit encore à ses propres valeurs, un Kapellmeister sincère, naïf, presque enfantin avec sa dégaine de personnage de bande dessinée, souffrant aussi, dans sa conscience comme dans son amour. A bout de timbre, il chante – ce n’est pas toujours le cas, on le sait – sa partie, en Liedersänger accompli, ce qui donne un tout autre relief au personnage. C’est la composition la plus saisissante de la soirée. Klaus Florian Voigt, avec son émission haute – et un rien nasale -, ses pianissimos dans le Quintette, redonne à Walther sa jeunesse lumineuse, trop vert néanmoins, trop appliqué dans sa façon de phraser un texte qui semble un peu débité, trop modeste dans le médium. On lui préfère le merveilleux David de Toby Spence, à l’aise sur toute la tessiture, à la fois délié et subtil, jamais valet de comédie. Choisissant le registre de l’intimité, Walter Fink chante Pogner sur le ton de la conversation en musique, à l’inverse du Kothner sonore mais jamais caricatural d’Andrew Greenan, superbe voix bien conduite qui pourrait connaître de glorieux lendemains. Autre basse à suivre, comme souvent les Veilleurs de nuit – rappelons-nous un certain Kurt Moll : Diogenes Randes. Du côté des dames, si Fredrika Brillembourg n’arrive pas à sortir Magdalene de son statut de personnage secondaire –n’est pas Brigitte Fassbaender ou Christa Ludwig qui veut -, Anja Harteros séduit par sa fraîcheur fruitée, son absence de mièvrerie, Eva pas si soumise, prête à assumer son destin comme l’Elisabeth de Tannhäuser, pas assez éthérée du coup dans le début du Quintette.
Pierre Strosser a des Maîtres Chanteurs une lecture sombre, presque inquiétante, expliquant le nouveau visage, parfois à la limite du tragique, de Sachs et de Beckmesser. Nuremberg se mue en cité de briques des années Weimar, qui, pour un peu, aurait quelque chose de concentrationnaire, comme s’il avait repris son décor de Wozzeck. Pas de prairie à la fin, un tronc d’arbre mort au deuxième acte. Le comique est ici sacrifié aux subtilités de l’analyse psychologique, aux ambiguïtés des personnages, à celle du message. Le message, d’ailleurs, est sans doute plus celui de Strosser que celui de Wagner. A la fin, Eva et Walter s’en vont, laissant Sachs seul, à son piano, tel Wotan regardant partir Siegfried, impuissant à limiter l’effondrement d’un monde qu’il a cru sauver en aidant le Junker. On se demande, du coup, si c’est Beckmesser le perdant. Et on pense évidemment à la suite, à ceux qui sont partis, à ceux qui sont restés. Très finement, sans appuyer, le metteur en scène laisse cette fin ouverte. Il n’empêche que l’hymne à la Deutsche Kunst, avec son do majeur triomphant, laisse un goût de malaise.



Didier van Moere

 

 

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