About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Epure d’opéra

Paris
Amphithéâtre Bastille
11/22/2006 -  et 23, 24 (Paris), 26* (Saint-Quentin-en-Yvelines) novembre 2006
George Benjamin : Viola, Viola – Trois miniatures – Into the Little Hill (création)

Anu Komsi (La foule, Le narrateur, L’étranger, L’enfant du ministre), Hilary Summers (La foule, Le narrateur, Le ministre, La femme du ministre)
Jagdish Mistry (violon), Garth Knox, Geneviève Strosser (alto), Ensemble Modern, Franck Ollu (direction)
Daniel Jeanneteau (scénographie et lumières), Marie-Christine Soma (collaboration artistique et lumières), Olga Karpinsky (costumes)


Le Festival d’automne organise, en association notamment avec l’Opéra Bastille, un cycle de trois manifestations autour de George Benjamin: avant des concerts avec l’Ensemble Modern (27 novembre) puis avec l’Orchestre de l’Opéra national de Paris (19 décembre), l’Amphithéâtre Bastille accueillait la création de son «conte lyrique» en deux parties Into the Little Hill. Donné à trois reprises dans le capitale, le spectacle était immédiatement repris pour une représentation au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, entourée d’un travail pédagogique dont la qualité mérite d’être saluée (une introduction par le musicologue Philippe Albèra, puis une rencontre avec le metteur en scène, Daniel Jeanneteau).


Sur un livret de Martin Crimp, adaptation moderne de la légende médiévale du joueur de flûte de Hamelin, qui devient ainsi une fable tragique sur le pouvoir, au sens politique, bien sûr, mais aussi sur le pouvoir ensorcelant de la musique, Benjamin a créé une sorte d’épure d’opéra, tant par sa brièveté (quarante minutes) que par sa dimension modeste, ne faisant appel qu’à deux chanteuses soutenues par un petit ensemble. Et encore, la soprano et la contralto doivent être considérées comme des narratrices qui, ainsi que l’explique Benjamin, sceptique quant à la possibilité «de raconter une histoire sans tomber dans un réalisme qui n’est plus guère possible aujourd’hui à l’opéra», incarnent «différents rôles sans qu’il y ait des personnages réels sur scène».


En harmonie avec cette épure, Daniel Jeanneteau a conçu un dispositif simple et léger: séparés en trois groupes par deux passerelles perpendiculaires à la rampe, sur lesquelles évoluent les deux protagonistes, les musiciens de l’Ensemble Modern et leur chef, Franck Ollu, sont installés sur la scène, recouverte d’une matière grenue dans les tons bruns tabac et plongée dans la pénombre. Les lumières d’un blanc métallique et aveuglant installées par Marie-Christine Soma sous les passerelles et projetées derrière les écrans translucides placés à leur extrémité s’imposent tout particulièrement au moment de la conclusion, lorsque la montée d’une troisième passerelle révèle sous le plateau une source lumineuse intense, celle qui justifie le titre de l’œuvre («Inside the Little Hill […] there is light under the earth»).


Les accessoires sont réduits au strict minimum – masque, roue d’une cage à hamster – tandis que les costumes d’Olga Karpinsky pourraient être ceux d’une version de concert. L’absence de surtitrage n’est pas réellement gênante, compte rendu de ce que la diction des chanteuses est remarquable et de ce que le livret ainsi que sa traduction en français et en allemand, parus aux éditions de L’Arche, ont été préalablement distribués aux spectateurs. Seul le titre des sept scènes est successivement projeté, quoique de façon un peu floue, sur le mur du fond.


Si elle est indéniablement économe, l’écriture de Benjamin n’est pas avare de séductions pour autant, tant elle se caractérise par une subtilité, une douceur et un caractère envoûtant qu’un refus des effets faciles rend encore plus sensibles. L’effectif orchestral, s’il est à l’échelle d’un opéra de chambre, n’en est pas moins augmenté de timbres rares: flûte basse personnifiant le dangereux charmeur de rats, cors de basset ronds et ductiles, clarinette contrebasse vrombissant comme un tuyau d’orgue grave.


Le nombre de musiciens (quinze, comme dans la Première symphonie de chambre) ainsi que la présence d’une mandoline (jouée par l’une des violonistes) pourraient faire penser à Schönberg, mais les deux cornets à pistons, le trombone et le cymbalum orientent en même temps vers Stravinski. Cela étant, non seulement la musique de Benjamin ne porte aucune de ces deux influences, mais elle parvient à tirer le meilleur parti du défi instrumental qu’il s’est lui-même lancé, incluant même un banjo (confié à l’un des altistes) dans la formation: rien d’anecdotique dans le traitement de cet assemblage hétéroclite, bien loin de là, mais une fusion sui generis, totalement originale et réussie.


Exigeante pour les voix, la partition les respecte toutefois pleinement et fournit même mainte occasion de briller à Anu Komsi et à Hilary Summers, qui parviennent en outre à passer sans peine d’un personnage à l’autre. Et, comme Benjamin a pleinement adopté le parti pris de son librettiste, consistant à mêler répliques proprement dites et incises narratives («dit l’homme», «sourit le ministre») ou didascalies, on ne peut qu’admirer la grande aisance avec laquelle elles se plient à de fréquents et rapides changements de registre – du parlé au chanté – et de ton – de la neutralité à l’expression.


Le bonheur est d’autant plus complet que cet admirable spectacle dure en réalité une heure, car il est introduit par deux pièces de Benjamin tout aussi denses et poétiques: dans Viola, Viola (1997) pour deux altos comme dans les Trois miniatures (2001) pour violon seul, Garth Knox et Geneviève Strosser, d’une part, aussi bien que Jagdish Mistry, d’autre part, jouant par cœur dans une quasi-obscurité, mettent parfaitement en valeur la richesse expressive d’un propos dont on ne sait s’il est le fruit d’une exigeante liberté ou d’une exigence libérée.


La page de George Benjamin sur le site de Faber music
Le site de l’Ensemble Modern



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com