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Solide reprise Paris Opéra Bastille 09/18/2006 - et 23, 27 septembre, 1er, 4, 8, 14, 18 octobre 2006 Richard Strauss : Salomé, opus 54
Catherine Naglestad (Salomé), Chris Merritt (Hérode), Jane Henschel (Hérodiade), Evgeny Nikitin (Jochanaan), Tomislav Muzek (Narraboth), Ulrike Mayer (Le page),
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Eric Huchet, Mihajlo Arsenski, Andreas Jäggi, Yuri Kissin (Les Juifs), Ilya Bannik, Paul Gay (Les Nazaréens), Friedemann Röhlig, Scott Wilde (Les soldats), Ugo Rabec (Un Cappadocien), Grzegorz Staskiewicz (Un esclave)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Hartmut Haenchen (direction)
Lev Dodin (mise en scène), David Borovsky (décors et costumes), Jean Kalman (lumières), Jourii Vassilkov (chorégraphie), Mikhaïl Stronine (dramaturgie)
L’Opéra national de Paris propose à nouveau, pour huit représentations à Bastille, la production de Salomé (1905) de Strauss présentée voici exactement trois ans (voir ici). On peut certes concevoir des Salomé plus sulfureuses, mais cette reprise, avec une distribution largement remaniée, convainc par sa belle solidité, d’abord redevable à la mise en scène de Lev Dodin. Sa direction d’acteurs est certes prévisible, et même particulièrement statique dans les premières scènes, mais sans passer par une transposition chronologique ni céder à la tentation du décryptage au énième degré, elle permet efficacement à la musique et à l’action de se déployer. Les costumes et les décors de David Borovsky contribuent à cette sobriété d’ensemble: palais, escaliers, grilles du cachot, le carré, le vertical et les teintes sombres dominent, à l’exception de la pleine lune, qui monte lentement dans le ciel puis est dissimulée par une éclipse après la décapitation. Et cette atmosphère nocturne bénéficie des magnifiques clairs-obscurs créés par Jean Kalman.
Pour ce qui constitue apparemment une prise de rôle, Catherine Naglestad parvient à s’imposer et à succéder, dans cette production, à Karita Mattila. L’Américaine ne possède certes pas l’aura de la Finlandaise: un peu sur la réserve, ménageant aussi sans doute ses moyens, notamment en début de spectacle, elle s’affirme toutefois au fil des minutes, à l’image de la trajectoire qu’elle confère à son personnage, enfant gâté se muant en femme sanguinaire, et assume crânement la chorégraphie de Jourii Vassilkov dans une Danse des sept voiles à l’issue de laquelle le public ne peut plus rien ignorer de son anatomie. La performance vocale est à l’avenant, malgré une tendance à crier les aigus et un manque de projection dans le grave.
Pour sa première apparition à Bastille, Evgeny Nikitin campe un Jochanaan tout d’une pièce, puissant et héroïque à souhait, mais un peu moins à son aise lorsqu’il quitte le registre des imprécations ou des visions prophétiques. S’agissant des ténors, si le Narraboth de Tomislav Muzek est irréprochable, Chris Merritt, principal rescapé de 2003, déçoit en revanche par une incarnation hystérique d’Hérode, à moins qu’il ne faille attribuer ce parti pris d'exagérer le grotesque aux difficultés d’une voix qui se soucie trop peu des notes, disant le texte davantage qu’elle ne le chante, de telle sorte qu’on a l’impression d’entendre une sorte de Sprechgesang avant la lettre ou le capitaine de Wozzeck. A ses côtés, en contraste total, l’assurance et la parfaite diction de Jane Henschel en font une redoutable Hérodiade. Parmi les rôles secondaires, Ulrike Mayer (Le page) est hélas quasiment inaudible, mais il faut saluer la belle autorité de Friedemann Röhlig en premier soldat.
Hartmut Haenchen, jusqu’alors surtout connu en France pour ses enregistrements parus dans des collections économiques, faisait à cette occasion ses débuts à l’Opéra de Paris. Fluide et analytique, la direction du chef allemand s’en tient cependant au premier degré, dépourvue de lignes de force, mettant en valeur les effets de masse plutôt que le caractère capiteux et vénéneux de la partition.
Simon Corley
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