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Tsunami Marseille Opéra 06/18/2006 - 21 et 23 juin Giacomo Puccini: Turandot Cynthia Makris (Turandot), Nicoleta Ardelean (Liù), Jeong Won Lee (Calaf), Ayk Martirossian (Timur), Olivier Heyte (Ping), Christophe Mortagne (Pang), Martial Desfontaines (Pong), Charles Burles (Altoum), André Heijboer (Le Mandarin).
Orchestre et chœurs de l’Opéra de Marseille, Daniel Klajner (direction musicale), Maîtrise des Bouches du Rhône, Samuel Coquard (direction).
Charles Roubaud (mise en scène), Isabelle Partiot (décors), Katia Duflot (costumes), Marc Delamézière (lumières).
Production de l’Opéra de Marseille
En co-production avec les Chorégies d’Orange
Lorsque Toscanini dirigea la création de Turandot à la Scala de Milan le 25 Avril 1926, Puccini était mort depuis presque deux ans. Le soir de la première, le Maestro posa sa baguette juste après la mort de Liù, se tourna vers le public et lança : « C’est ici que se termine l’opéra de Puccini. Le Maître en était là lorsqu’il est mort.» Dès la deuxième représentation, La Scala devait présenter la version que nous connaissons aujourd’hui, terminée par Franco Alfano. Ajoutons que d’autres compositeurs se sont essayé à cet exercice, notamment Luciano Berio (dont l’Opéra de Marseille présentait cette saison Maria Golovine) en 2002 à l’Opéra de Los Angeles.
Dans le genre monumental, Turandot ne fait pas dans le détail. Cette chinoiserie à grand spectacle foisonne de scènes de foule, d’effets spectaculaires, de masses impressionnantes de choristes et de figurants. Œuvre outrancière aux multiples facettes où le fantastique le dispute au mélo, où le tragique côtoie le burlesque et où la barbarie se mêle à la Commedia dell’ arte. Véritable oxymore musical, la partition est le reflet de ce kaléidoscope de genres, tantôt tonitruante et atonale, tantôt délicieusement mélodique, mais toujours d’un lyrisme italianissime.
Charles Roubaud signe une mise en scène dont il a déjà été question dans ces colonnes (Chorégies d’Orange 1997lire ici). Rappelons sa lecture limpide de l’œuvre, conçue autour d’un décor d’Isabelle Patiot, vaste cercle en plan incliné qui pivote au gré de la progression dramatique, surmonté d’un immense praticable qui traverse la scène de part en part et où l’Empereur et sa cour évoluent au dessus de la foule. C’est sobre, intelligent et surtout très efficace sur le plan dramatique. Notons le superbe travail des mouvements des chœurs, problème toujours épineux pour un metteur en scène, surtout avec une œuvre monumetale comme Turandot. Les costumes de Katia Duflot sont à l’avenant : point de fastueux brocards ni de quincailleries dorées mais des contrastes de blanc et de noir avec, tout de même, un peu d’or pour l’Empereur. Le tout est souligné par les éclairages bien conventionnels de Patrice Marc Delamézière : bleu pour la lune, rouge pour le sang, rose pour l’aube…
La Turandot de l’Américaine Cynthia Makris, sans être répréhensible vocalement, ne déchaîne pas l’enthousiasme. La voix est affublée d’un vibrato parfois gênant, et pour compenser un manque de puissance, la chanteuse produit des aigus tendus et des forte incolores. Malgré cette réserve, son interprétation du personnage ne manque pas d’intérêt. Soulignant la dualité de cette énigmatique princesse, elle campe une Turandot hiératique et de glace au premier acte, touchante, fragile et humaine à la fin de l’opéra. La soprano roumaine Nicoleta Ardelean est une Liù de grande qualité tant son incarnation du personnage résume bien la fragilité des « petites femmes pucciniennes ». Le timbre de voix est racé, les piani éthérés, mais la chanteuse, soucieuse à juste titre de ne pas tomber dans l’excès de pathos ou le sanglot tebaldien (cf. l’enregistrement dirigé par Leinsdorf), tend à peser sur chaque note, sur chaque mot et du coup, sa Liù est un peu apprêtée. Avec le ténor Jeong Won Lee, on joue dans la cour des champions. Parfaitement à l’aise dans ce rôle de lyrico spinto, le Coréen se joue des pièges tendus par ce rôle écrasant. Le timbre est clair, l’émission généreuse et puissante, le legato impeccable et les aigus, insolents, ont le tranchant de l’épée. Son Nessun dorma, époustouflant de facilité, est un modèle de vaillance et de musicalité. Les trois ministres, Olivier Heyte (Ping), Jean-François Borras (Pang), et Martial Defontaine (Pong) sont tout à fait à leur place, tant musicalement que scéniquement. Ne manquons pas de citer la très bonne tenue de l’Arménien Ayk Martirossian (Timur), de Charles Burles (Altoum), et André Heyboer (Le Mandarin).
Dans la fosse, c’est l’enchantement. Les musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Marseille donnent le meilleur d’eux-mêmes, galvanisés qu’ils sont par le chef suisse Daniel Klajner qui fait flamboyer cette magnifique musique tout en maintenant un équilibre subtil entre la fosse et le plateau. Les chœurs de l’Opéra, renforcés par l’excellente Maîtrise des Bouches du Rhône, sont eux aussi en très grande forme.
Comment, dans ces conditions, ne pas succomber à ce tsunami musical ? On sort de cette nuit de Chine un peu abasourdi et surtout ravi de s’être laissé emporter, une fois de plus, par la déferlante puccinienne.
Au programme de la prochaine saison Marseillaise : La Norma, Le dialogue des Carmélites, Rigoletto, Colombe, L’Enlèvement au sérail, Lucia di Lammermoor et Die Walküre.
Christian Dalzon
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