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L’ombre de Ligeti Paris IRCAM (Espace de projection) 06/12/2006 - Brian Ferneyhough : Trio à cordes – Quatuor n° 5 (création française)
Anton Webern : Six bagatelles, opus 9
Alban Berg : Suite lyrique
Quatuor Arditti: Irvine Arditti, Ashot Sarkissjan (violon), Ralph Ehlers (alto), Lucas Fels (violoncelle)
Le Festival Agora, pour sa neuvième édition, et les «Rencontres technologiques» Résonances, fondées en 2002 et jusqu’alors organisées à l’automne, se tiennent désormais simultanément, et ce jusqu’au 17 juin prochain. La réunion de ces deux «vitrines» publiques de l’IRCAM, comprenant toujours un emblématique «week-end portes ouvertes», marque la volonté d’associer création et recherche, à l’image de ce concert autour de Brian Ferneyhough, présenté à la veille d’un colloque de deux journées sur le thème «Ecritures du temps et de l’interaction».
Le programme en était confié au Quatuor Arditti, dont la physionomie s’est fortement renouvelée au cours des trois dernières années, Lucas Fels ayant remplacé Rohan de Saram depuis décembre dernier, de telle sorte qu’Irvine Arditti reste désormais le seul des fondateurs, voici trente-deux ans, de cette formation qui s’est inlassablement investie dans la création contemporaine. Parmi ses nombreux enregistrements, celui des deux Quatuors de Ligeti, effectué en 1978 pour Wergo, a fait date: les musiciens commencent donc, en ce jour où les «horloges démoniaques» de ses Nouvelles aventures ont eu raison du Hongrois, disparu à l’âge de quatre-vingt-trois ans, en interprétant le troisième mouvement de son Second quatuor «Métamorphoses nocturnes» (1968).
Après cet hommage, l’ombre de Ligeti plane sur l’ensemble de la soirée: par une étrange coïncidence, les deux œuvres choisies pour «dialoguer» avec celles de Ferneyhough se rangent en effet parmi celles dont l’auteur du Grand macabre a maintes fois eu l’occasion de souligner l’influence qu’elles ont exercé sur son style. Sans surprise, les Arditti livrent des Bagatelles (1913) de Webern, que le compositeur britannique, de son côté, cite également volontiers en référence, une vision intense et extrémiste, tandis qu’ils débarrassent la Suite lyrique (1926) de Berg de toute tentation d’alanguissement et d’épanchement postromantiques dont les indications amoroso ou appassionato pourraient fournir le prétexte, préférant mettre en valeur la modernité fondatrice de la partition. Mais cette objectivité et ce dépouillement n’excluent nullement la tension et l’expression, à l’image d’un Presto delirando rugueux et rageur.
Cela étant, le héros de la soirée, qui a mobilisé un très nombreux public, n’était pas moins Ferneyhough, dont le Trio à cordes (1995) s’achève, comme la Suite lyrique, par un Largo desolato. Comme toujours, sa musique porte les signes extérieurs de la virtuosité la plus échevelée – notamment dans les soli introductifs confiés successivement à l’alto, au premier violon et au violoncelle – et ces vingt-trois minutes exceptionnellement denses, tour à tour éruptives et fantomatiques, requièrent, par leur complexité technique et stylistique, tout l’engagement et toute la précision des Arditti, même si une pointe ludique perce parfois sous l’épaisse carapace postsérielle.
Créateurs des trois précédents quatuors, les Arditti viennent également de donner début mai à Witten la première exécution du Cinquième (2006), commande de deux radios (BBC et WDR de Cologne). Ce quart d’heure d’un seul tenant démontre, s’il en était besoin, que, contrairement à certains de ses confrères, Ferneyhough ne s’est nullement assoupli, refusant toute concession à la facilité ou à la séduction. Les soli (premier violon, violoncelle) et les duos (premier et second violons, second violon et violoncelle, alto et violoncelle) abondent, mais l’impression globale demeure conflictuelle et heurtée, pour s’achever «dans un état d’épuisement antagoniste, semblable aux ruines de structures complexes».
Le site du Festival Agora
Le site de György Ligeti chez Schott
Simon Corley
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