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Orgasmes et meurtres

Amsterdam
De Nederlandse Opera
06/03/2006 -  et 9, 12, 15, 19, 22, 25 & 28 juin 2006
Dimitri Chostakovitch : Lady Macbeth de Mzensk, opus 29

Anatoli Kotcherga (Boris), Ludovit Ludha (Zinovi), Eva-Maria Westbroek (Katerina), Christopher Ventris (Sergei), Carole Wilson (Aksinya/une bagnarde), Nikita Storojev (Commissaire de police), Alexander Vassiliev (Pope/Surveillant), Lani Poulson (Sonietka), Vladimir Vaneev (Vieux bagnard), …
Koninklijk Concertgebouworkest, Koor van De Nederlandse Opera, Winfried Maczewski (direction), Mariss Jansons (direction musicale)
Martin Kusej (mise en scène), Martin Zehetgruber (décor), Heide Kastler (costumes)


Pour cette Lady Macbeth amstellodamoise, l’intention du metteur en scène autrichien Martin Kusej, explicitée dans les notes du programme, est claire et ne prête pas à confusion: «L’orgasme et le meurtre sont deux pôles diamétralement opposés, deux extrêmes entre amour et haine, deux relations fondamentales entre êtres humains. Cette essence climactique et profondément insondable de la nature humaine est le pilier sur lequel repose ma production de Lady Macbeth de Mzensk.» Cela se reflète dans sa mise en scène oscillant constamment entre le tragique le plus terriblement noir et insondable qui soit et le grotesque le plus caricatural et expressionniste qui puisse être imaginé. Le sexe, le désir, l’Eros, se profilent clairement en toile de fond d’un spectacle qui ne fait aucune économie de la violence, mais en ne cherchant jamais à provoquer gratuitement. Les personnages, tous plus misérables et pathétiques les uns que les autres, évoluent selon leurs pulsions, tout emprisonnés qu’ils sont dans la médiocrité et le vide de leur existence.


Un brillant travail de mise en scène, dont on louera sans réserve la fine compréhension du chef d’œuvre de Chostakovitch, mais qui n’évite pas, par moments, certaines interrogations (notamment, que signifient ces corps nus rampants au deuxième acte?) et qui est peut-être un peu moins convaincant dans le dernier acte, traînant un peu en longueur: au lieu de se précipiter avec Sonietka dans une rivière glacée, comme spécifié dans le synopsis, Katerina étrangle sa rivale avec des bas et, à la faveur d'un moment de confusion qui trahit malheureusement en même temps un manque d'intelligibilité de la mise en scène, est lynchée par les prisonniers puis est pendue... avec ces mêmes bas.


Rien dans les décors et les costumes de ce spectacle n’évoque la Russie. Le plateau est aussi le plus souvent dénudé. Dans les deux premiers actes, il est occupé par une grande cage en verre, munie d’ouvertures sur le toit et sur le côté face au public, et dans laquelle évolue la plupart du temps Katerina. Dans cette cage dorée, ses très nombreuses chaussures semblent symboliser la richesse toute relative et absurde de son minable mari, Zinovi, chaussures par ailleurs dérobées au cours d’une formidable pagaille au second acte par des ouvriers enfin libérés du joug de Boris peu après qu’il ait été assassiné par sa belle-fille… Mentionnons quelques originalités (le troisième acte s’ouvrant dans les douches du commissariat de police!) et prouesses techniques (entre autres l'ivrogne déterrant maladroitement le cadavre de Zinovi). Dans le quatrième acte, le plateau est surélevé, faisant apparaître en dessous les prisonniers, plus ou moins dénudés et les pieds dans l’eau. Alors que certains errent, tels des bêtes sauvages, en tombant dans la folie et l’abrutissement, d'autres cherchent du «réconfort» dans cet univers moite et oppressant, tandis que sur le plateau, les gardiens et le commissaire de police effectuent inlassablement leur ronde…


Sur scène évolue une troupe de chanteurs formidablement engagée. Certains d’entre eux sont d’ailleurs des familiers de cette œuvre pour s’y être produits à de nombreuses reprises dans le monde. La soprano hollandaise Eva-Maria Westbroek fut chaleureusement acclamée par le public: remarquable dans le difficile rôle de composition de Katerina, elle conserva durant toute la soirée une technique impeccable, malgré l’exigence physique de sa prestation. Elle réussit l’exploit de ne jamais susciter de la haine, du mépris ou de la fascination mais bien de la pitié pour ce personnage soumis au vieux et libidineux Boris, excellemment interprété par la très crédible et impressionnante basse ukrainienne Anatoli Kotcherga, et tombant dans les bras du séducteur inculte Sergei, incarné par le ténor britannique Christopher Ventris, véritable bête de scène. L’ensemble de la distribution mériterait d’être mentionné, mais on soulignera l’excellent niveau général des chanteurs. Citons en particulier Nikita Storojev dans le rôle du commissaire de police, Vladimir Vaneev dans celui du vieux bagnard, le truculent Alexander Vassiliev dans le rôle du pope et surtout le chœur du Nederlandse Opera, dirigé par Winfried Maczewski, bouleversant et d’un engagement dramatique exemplaire.


A la tête de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, la direction de Mariss Jansons n’appelle que des éloges. Que ce soit dans les moments les plus tendres et lyriques, dans les passages les plus violents et implacables, ou dans les pages les plus cacophoniques et délirantes (le final du deuxième acte, acclamé par un public enthousiaste!), Mariss Jansons, qui faisait avec cette production ses débuts au Nederlandse Opera, conduit un orchestre confondant de précision, avec un résultat sonore que l’on peut qualifier, sans exagérer, de miraculeux.


Avec ce spectacle très réussi, Dimitri Chostakovitch reçoit, à l’occasion du centenaire de sa naissance, le plus beau des hommages.



Sébastien Foucart

 

 

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