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Le tsar mis à nu

Bruxelles
La Monnaie
04/18/2006 -  et les 20, 21, 23, 25, 26, 27 & 30* avril, les 2, 3, 5, 6 & 7 mai 2006
Modeste Moussorgski : Boris Godounov
José van Dam (Boris), Jania Vuletic (Féodor), Irina Samoilova (Xénia), Nina Romanova (la Nourrice), Ian Caley (Chouïski), Andrey Breus (Chtchelkalov), Anatoli Kotscherga (Pimène), Vsevolod Grivnov (Grigori le faux Dimitri), Vladimir Matorin (Varlaam), Viacheslav Voynarovskiy (Missaïl), Ekaterina Gubanova (l’Aubergiste). Chœur et Orchestre de la Monnaie de Bruxelles, dir. Kazushi Ono. Mise en scène : Klaus Michael Grüber.

Entre les versions de 1869 et de 1872 de Boris Godounov, la Monnaie de Bruxelles a choisi en réalité celle du musicologue Pavel Lamm, qui les réunit, à ceci près qu’elle en a supprimé l’acte polonais. La partition, du coup, s’éloigne définitivement de l’opéra européen de l’époque, où l’on ne peut se passer d’amour, mettant au premier plan la dimension politique et historique du drame. Pour Klaus Michael Grüber, justement, les hommes passent, l’Histoire continue, éternellement recommencée. Il croise les époques sans opter pour une transposition totale. Le chœur est celui des pauvres d’aujourd’hui, cohorte des laissés pour compte de la marche des choses, errant sur la scène avec leurs misérables sacs en plastique ; le tsar, au contraire, est vêtu d’une chape d’or – mais cet or ressemble à du plomb – rappelant à la fois les bulbes des églises orthodoxes et les figures des icônes, qui se défait comme se défait progressivement sa conscience. Ce monde est aussi dérisoire que pitoyable : dans la forêt de Kromy s’additionnent des néons style Luna Park, symbole de la Russie consumériste d’aujourd’hui, un vaisseau spatial, symbole des prétentions planétaires de celle d’hier, un cheval sur lequel se juchera l’usurpateur, à la fois Pierre le Grand et Lohengrin, symbole des ambitions conquérantes de celle d’avant-hier ; mais le même mur de béton qu’au premier tableau nous dit que rien ne change. De toute façon, au fond de la scène, coincé dans une anfractuosité, l’archange saint Michel n’a jamais pu déployer ses ailes. Et Pimène, ermite en haillons rouges, est plus isolé que jamais dans sa cabane, tel saint Jérôme avec son lion. Ce n’est pas très nouveau, c’est moins fort que la production salzbourgeoise d’un Herbert Wernicke, mais c’est très bien fait et le spectacle, sans être mémorable, fonctionne bien, dans des décors d’une belle sobriété d’Eduardo Arroyo et des éclairages assez subtils de Dominique Borrini.
Pour la musique, c’est l’original de Moussorgski, comme l’usage s’en est maintenant imposé, qui a été choisi. Là encore, la rupture avec les canons de l’époque paraît évidente, surtout si on considère l’écriture plus « européenne » d’un Tchaikovski. La direction de Kazushi Ono ne cherche nullement à gommer l’âpreté des sonorités de l’orchestre, en faisant ainsi ressortir toute la modernité, soulignant aussi la cruauté du drame par une tension constamment soutenue, péchant seulement par un certain manque de maîtrise de la dynamique qui met parfois les voix à la peine. Celle de José van Dam, on le sait, n’est plus de toute façon que l’ombre d’elle-même. Il n’est pas sûr, d’ailleurs, qu’il ait jamais eu celle de Boris, dont il n’a ni la puissance, ni la couleur, ni la tessiture. Cela dit, le parti qu’il tire de ce qui lui reste force l’admiration : a-t-on jamais vu un Boris aussi pauvrement humain, aussi fragile, vacillant dès le début ? Le malheureux tsar, avec lui, ne tombe pas du sommet : il a, d’emblée, un pied dans l’abîme. Autour de lui, une distribution homogène à défaut d’être exceptionnelle, dominée par le Pimène inspiré d’Anatoli Kotscherga, humble omniscient, mauvaise conscience d’un puissant qu’elle renvoie à sa misère. Et, pour le coup, la voix de Boris, d’ailleurs un de ses plus grands rôles, qui inverse de façon intéressante le rapport entre les deux personnages. Parmi les autres, on saluera le Chouïski cauteleux de Ian Caley, malgré des aigus un peu difficiles, l’Innocent illuminé Dimitri Voropaev, le Varlaam pittoresque de Vladimir Matorin, et le Féodor jamais mièvre de Janja Vuletic.




Didier van Moere

 

 

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