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Bruckner revisité

Baden-Baden
Festspielhaus
09/23/2005 -  
Arnold Schoenberg : Verklärte Nacht, opus 4
Anton Bruckner : Symphonie n° 7

Wiener Philharmoniker, Pierre Boulez (direction)

Même si sa période d’«exil en terre allemande» n’est plus qu’une page d’histoire, Pierre Boulez a gardé sa résidence principale à Baden-Baden, occasion que le Festival local tente d’exploiter depuis de longues années. Avec à présent davantage de succès puisque c’est déjà la seconde fois que Boulez dirige un concert ici : affiche de prestige rehaussée par la présence de la Philharmonie de Vienne et la toute récente nomination de Pierre Boulez en tant que « Chef d’orchestre de l’année », tout en haut du palmarès publié par l’influente revue allemande Opernwelt.


Public et attention des grands soirs, donc, dans une agréable atmosphère festivalière d’arrière-saison, et bien sûr le plaisir de retrouver l’Orchestre Philharmonique de Vienne à peine un mois après Salzbourg. Bonne occasion aussi de vérifier que cet orchestre de rêve n’est jamais aussi fascinant... qu’à Salzbourg ! Pour quelle raison ? Question d’acoustique, d’ambiance propice, voire d’hygrométrie (la légendaire humidité des alpes autrichiennes, sic), toujours est-il qu’ailleurs le son des cordes semble se modifier, devenant parfois acide. C’est un peu le cas ce soir là dans La Nuit transfigurée, amplification géante réalisée a posteriori par Schoenberg à partir d’une version originale pour sextuor à cordes. Il est vrai que ce genre d’œuvre pour gros effectifs d’archets, en définitive assez rare au répertoire (il s’agit d’ailleurs en général d’ailleurs d’orchestrations, on pense évidemment à la Grande Fugue de Beethoven...), constitue une véritable épreuve, tant la moindre imperfection d’intonation s’y trouve surexposée. Et si la Philharmonie de Vienne s’en tire évidemment avec un panache extraordinaire, on constate quand même au passage de multiples scories dans le jeu des cordes aiguës et de nombreux problèmes d’équilibre entre les pupitres. Certes le travail réalisé par Schoenberg n’aide guère, simple redistribution des lignes sur un effectif plus important, source de lourds problèmes de lisibilité pour les parties intermédiaires, qui ressortent facilement dans un sextuor mais se retrouvent vite noyées dans un orchestre de cordes au grand complet. En l’occurrence il aurait peut-être été plus sage de se contenter d’un effectif moins important (tout autant de cordes que pour la grand symphonie post-romantique qui suit, c’est quand même beaucoup) et une gestique plus sculpturale que celle de Pierre Boulez, toujours aussi sèchement sémaphorique, aurait sans doute été plus appropriée. Au jeu de l’épure cette partition expressionniste a beaucoup à perdre, sa substance musicale n’étant pas forcément suffisante pour résister à une telle absence de suspense et de mise en scène. A l’issue de cette première partie on reste donc un peu sur sa faim, avec l’impression tenace que tout le monde ici est passé quelque peu à côté du sujet.


Sensation du même ordre pour la Septième Symphonie de Bruckner proposée en seconde partie, mais avec cette fois l’agrément d’une vision très originale, pas moins hors sujet pour les brucknériens passionnés (qui n’auront pu trouver ici ni architecture de cathédrale ni foi vibrante ni mysticisme grandiose) mais certainement intéressante pour ceux qui restent sceptiques à l’égard de cette musique de grand naïf. Au lieu d’édifier un discours «logique» en superposant des blocs cyclopéens (avec tout ce que cela implique, révérence gardée, de raccords défectueux et de transitions balourdes), Boulez préfère privilégier l’attention accordée aux détails de l’instant, avec ici un coup de projecteur sur une flûte qui musarde, là sur les prodigieuses résonances des cuivres graves, délibérément creusées pour n’en garder qu’une sorte d’enveloppe aux reflets insolites (la célèbre cuivraille viennoise, que les titulaires se lèguent de génération en génération, quasiment des instruments anciens aujourd’hui). Et ceci sans pour autant renoncer à l’impact en décibels de grandes péroraisons de masse d’inspiration wagnérienne, pour lesquelles Boulez retrouve naturellement le son davantage lumineux que massif qu’il a toujours cultivé dans la fosse de Bayreuth. Une quasi re-création, très belle alternative aux plus habituelles professions de foi gothiques, qui souligne à chaque détour ce que cette musique peut présenter, au-delà de ses maladresses, de puissamment novateur.


Avec Boulez surgissent même ici ou là de curieux alliages, qui ne dépareraient pas chez Ravel ou Debussy (envoûtante ambiance à la fin de l’Adagio : on pense irrésistiblement à l’annotation «Comme une lointaine sonnerie de cors» qu’inscrit Debussy dans «Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir», un équilibre sonore que les pianistes, d’ailleurs, ne parviennent presque jamais à restituer correctement...). L’expérience est certes déstabilisante, mais pleinement convaincante, pour peu que l’on laisse ses a priori de côté. Elle permet en tout cas de comprendre pourquoi un compositeur aussi naturellement économe et subtil que Boulez peut s’intéresser si fréquemment aux «hénaurmes» symphonies de Bruckner. Ovation impressionnante, à l’issue de ces quatre mouvements qui passent sans peser ni durer (les tempi sont vifs, on s’en doute !), sorte de libération d’un public auparavant d’une attention exemplaire, qui a retenu son souffle et limité ses toux au minimum vital pendant toute la soirée.



Laurent Barthel

 

 

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