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A la Maison blanche

Prades
Eglise de Rigarda et Abbaye Saint-Michel de Cuxà
08/06/2005 -  


18 heures, Eglise de Rigarda
Robert Schumann: Romances pour hautbois et piano, opus 94 (#)
Elliott Carter: Con leggerezza pensosa (&)
John Clinton: Grand duo pour flûte, clarinette et piano, opus 43 (+)
Camille Saint-Saëns: Introduction et Rondo capriccioso pour violon et piano, opus 28 (^)
Adolf Busch: Duo pour violon et clarinette n° 1, opus 26 n° 1 (~)
Felix Mendelssohn: Konzertstück pour clarinette, cor de basset et piano n° 2, opus 114 (*)

Benoît Fromanger (+) (flûte), Jean-Louis Capezzali (#) (hautbois), Maurizio d’Alessandro (+ ~ *) (clarinette, cor de basset), Michel Lethiec (& *) (clarinette), Véronique Bogaerts (~), Gérard Poulet (&), Vadim Tchijik (^) (violon), Arto Noras (&) (violoncelle), Christian Ivaldi (#), Jean-Claude Vanden Eynden (^), Denis Weber (+ *) (piano)


21 heures, Abbaye Saint-Michel de Cuxà
François Couperin: Cinq pièces en concert (arrangement Paul Bazelaire) (+)
Camille Saint-Saëns: Le Cygne, extrait du «Carnaval des animaux» (+)
Robert Schumann: Adagio et Allegro, opus 70 (+)
Thorsten Encke: Quatuor (#)
Felix Mendelssohn: Trio avec piano n° 1, opus 49 (^)
Pablo Casals: El Cant dels ocells (&)

Vadim Tchijik (^), David Geringas (^ &), Arto Noras (+) (violoncelle), Jeremy Menuhin (+), Jean-Claude Pennetier (^) (piano), Quatuor Aquila (#): Vassili Voronin, Dmitri Feinschmidt (violon), Pawel Mroczkowski (alto), Timothy Archbold (violoncelle)


Pas de Festival Pablo Casals sans un hommage à son fondateur, hommage particulièrement riche en cette cinquante-quatrième édition, puisqu’il s’étendait sur un week-end entier: avant la communion dans le rituel fondateur (Bach le dimanche soir à Saint-Pierre), la journée de samedi évoquait sa mémoire sous un angle plus original, rappelant qu’au fil d’une carrière d’une longévité exceptionnelle, Casals a joué à deux reprises à la Maison blanche.


La soirée à l’Abbaye Saint-Michel de Cuxà reconstituait ainsi très exactement, quoique dans un ordre différent, le concert du 13 novembre 1961, organisé à la demande de Kennedy et resté fameux grâce à l’enregistrement qui en a été effectué. Cela étant, Casals s’était produit à Washington dès 1904: si la fin d’après-midi à Rigarda ne faisait pas directement allusion à cette invitation de Theodore Roosevelt, elle n’en évoquait pas moins plaisamment trois autres présidents américains.


1. Homophones


Si, en 1961, Kennedy avait en quelque sorte convié à la Maison blanche, en même temps que Casals, Mendelssohn et Schumann, Michel Lethiec s’est amusé à les entourer de trois compositeurs (nés aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne) au nom homophone de celui de présidents américains, dont le mandat fut d’ailleurs postérieur au décès du violoncelliste catalan: (Elliott) Carter, (John) Clinton et (Adolf) Busch. Le parti pris, plaisant et de nature à éveiller la curiosité, aurait même pu être étendu à l’Américain (John) Adams ainsi qu’au Britannique (Thomas) Wilson. Et on aurait même pu recourir aux services de (Daniel) Harding, (Graham) Johnson ou (Nigel) Kennedy...


A une quinzaine de kilomètres à l’est de Prades, Rigarda n’est sans doute pas le lieu idéal pour organiser des manifestations publiques, ne serait-ce qu’en raison des difficultés de circulation et de stationnement à l’intérieur du village, mais les spectateurs n’en avaient pas moins rempli l’église Sainte-Eulalie, tribune comprise. Devant un chœur dominé par un imposant retable gothique et dans une acoustique raisonnablement réverbérée mais agréablement flatteuse, Jean-Louis Capezzali, avec l’accompagnateur hors pair qu’est Christian Ivaldi, ouvre cette heure de musique avec les trois Romances (1849) de Schumann, moelleuses, souples et chantantes.


«Hommage à Italo Calvino», Con leggerezza pensosa (1990) de Carter alterne, six minutes durant, épisodes légers et lyriques, la clarinette suggérant notamment un ton scherzando assez inhabituel chez le patriarche américain; celui-ci ne verse évidemment pas pour autant dans la facilité, avec son écriture elliptique et serrée, caractérisée par de grands intervalles, à laquelle Michel Lethiec, Gérard Poulet et Arto Noras rendent justice avec enthousiasme.


Flûtiste, et non saxophoniste comme son prestigieux homonyme présidentiel, John Clinton (1810-1864) n’a d’autre ambition, dans son Grand duo pour flûte et clarinette, que de mettre en valeur son instrument d’élection: reposantes pour l’auditeur sinon pour les interprètes, ces quatre sections enchaînées (treize minutes) fournissent à Benoît Fromanger et, dans une moindre mesure, à Maurizio d’Alessandro l’occasion de démontrer leur virtuosité, mais le titre de l’œuvre ne doit pas faire oublier pour autant le piano de Denis Weber, qui se voit confier des enchaînements brillants.


Remplaçant Massimo Quarta, souffrant, Vadim Tchijik, avec Jean-Claude Vanden Eynden au piano, s’attaque ensuite à Introduction et Rondo capriccioso (1863) de Saint-Saëns: conjuguant charme et second degré, il y fait preuve d’une précision optimale compte tenu d’une température extérieure dépassant les 30 degrés.


Au travers non plus d’une homonymie mais d’une simple homophonie, Adolf Busch (1891-1952) avait d’autant plus sa place dans cette galerie présidentielle qu’il fut, avec Casals, l’un des premiers animateurs de Marlboro, véritable équivalent américain du Festival de Prades. D’une grâce et d’une fraîcheur néoclassiques apparentées à Reger ou à Martinu, son Premier duo pour violon et clarinette (extrait d’un recueil intitulé Hausmusik), confié à Véronique Bogaerts et Maurizio d’Alessandro, fait se succéder en moins de neuf minutes une très courte Introduzione (Vivace ma non troppo), un thème et (quatre) variations dans un Tempo di minuetto puis un Rondo (Allegretto).


En une conclusion spectaculaire, digne de cette «Bataille de Prague. Grand Duo pour beignets aux prunes et tarte à la crème», Lethiec, d’Alessandro et Weber se lancent dans une lecture théâtrale, non dépourvue de clins d’œil et de nuances, de l’inusable Second Konzertstück pour clarinette, cor de basset et piano (1833) de Mendelssohn.


2. 13 novembre 1961


Sans doute plus proches de Casals par l’autorité que par le tempérament, deux violoncellistes avaient l’honneur de se partager le rôle qu’il tint, accompagné par Mieczyslaw Horszowski, au cours de cette session tenue à la Maison blanche en présence de John Fitzgerald Kennedy.


Ce fut d’abord le formidable Arto Noras, attentivement soutenu par Jeremy Menuhin, dans cinq Pièces en concert de Couperin: l’arrangement qu’en réalisa Paul Bazelaire (1886-1958) n’est certes pas animé par un souci d’authenticité, mais le Finlandais s’accommode sans peine de ce défi stylistique, ne renonçant en rien au vibrato tout en livrant une leçon de musicalité et de retenue, mais aussi de transparence et d’articulation dans La Tromba et l’Air de diable.


Dirigé intégralement la veille par… Hubert Reeves, Le Carnaval des animaux (1886) de Saint-Saëns revenait brièvement avec Le Cygne (dont ni la chronique ni l’enregistrement ne témoignent qu’il ait été entendu à la Maison blanche ce jour-là), quasi fauréen, nullement sucré, mais admirable par sa justesse d’intonation et son phrasé. Dans Adagio et Allegro (1849) de Schumann, le son se déploie dans toute sa pureté, mais non sans une expression fougueuse et passionnée.


Avec le violoniste Alexander Schneider, Casals et Horszowski avaient débuté leur programme par le Premier trio (1839) de Mendelssohn. D’un bel élan, la conciliation entre le piano objectif et sans fioritures de Jean-Claude Pennetier, le violon aérien de Vadim Tchijik et le violoncelle puissant de David Geringas peine cependant parfois à se réaliser.


L’homme de convictions qu’était Casals, alors âgé de quatre-vingt-cinq ans, tira parti de cette tribune inespérée qui lui était offerte pour dénoncer le régime franquiste: il joua donc en bis El Cant dels ocells, adaptation d’une mélodie populaire catalane, qu’il décrivit comme l’aspiration d’un peuple à la liberté. Avec l’intensité requise, Geringas s’approprie ce Chant des oiseaux (et ses redoutables harmoniques) incontournable à Prades (il a même son avenue), où il a acquis une valeur de symbole.


Complétant le souvenir de l’heure de musique donnée par Casals et ses amis, la fin de la première partie avait permis de découvrir le lauréat du premier Concours international de composition du Festival Pablo Casals: c’est Thorsten Encke et son Quatuor qui ont remporté la compétition, à savoir un prix de 15 000 euros ainsi que l’exécution de l’œuvre à Prades, dans le cadre du Festival, puis à Paris, dans le cadre de «Prades aux Champs-Elysées» (janvier 2006). Parmi les quatre-vingt-deux partitions inédites qu’il avait reçues, écrites pour des formations allant du trio au sextuor, le jury, formé de compositeurs (Dalbavie, Halffter, Penderecki) et d’interprètes (B. Douglas, Lethiec, V. Mendelssohn, Noras), en avait sélectionné quatre, présentées le 2 avril dernier dans la salle capitulaire de l’Abbaye: outre celle de l’Allemand, les contributions de Karol Beffa (France), Andrea Fontemaggi (Italie) et Sadie Harrison (Australie) avaient alors été créées.


Sous les excellents archets du jeune Quatuor Aquila, l’audition de ce Quatuor (2004) en cinq mouvements (vingt minutes) suscite une immense perplexité. En effet, Encke, né en 1966 à Göttingen et résidant aujourd’hui à Hanovre, en imitant Hindemith (rude énergie des mouvements impairs) ou Bartok (bribes et bruits du Notturno I et du Notturno II intermédiaires), fait comme si, pour s’en tenir à ses compatriotes, Hartmann, Blacher, Henze ou Rihm n’avaient pas apposé leur marque sur le genre du quatuor. Si la sincérité de la démarche de l’Allemand ne saurait être remise en cause, le choix opéré par le jury surprend bien davantage. Qu’a-t-il voulu saluer derrière cette accumulation de procédés et formules, avec développement fugué dans le Vivace final, qui s’en tient à un académisme roublard, semblant abandonner délibérément toute velléité créatrice? A-t-il souhaité privilégier la sécurité, c’est à dire une bonne connaissance des cordes et une facture indéniablement remarquable, d’une couleur toutefois un peu terne, à laquelle on ne peut reprocher qu’une trop grande obédience esthétique à des modèles anciens? Ou a-t-il poussé la fidélité à l’esprit de Casals jusqu’à distinguer un compositeur surtout connu jusqu’ici comme violoncelliste ainsi qu’une musique de l’époque de Casals? En tout état de cause, il reste à espérer que les prochains concours démentiront une telle orientation.



Simon Corley

 

 

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