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L’Elixir du bonheur!

Barcelona
Gran Teatre del Liceu
05/22/2005 -  et les 25, 28, 31* mai et le 3 juin 2005.
Gaetano Donizetti : L’elisir d’amore

Maria Bayo (Adina), Rolando Villazon (Nemorino), Jean-Luc Chaignaud (Belcore), Bruno Pratico (Dulcamara), Cristina Obregon (Giannetta)
Quico Gutierrez (lumières), Marcelo Grande (décors et costumes), Mario Gas (mise en scène)
Orchestre et Choeur du Grand Théâtre du Liceu
Daniele Callegari (direction)

Prendre une soprano espagnole aux aigus cristallins, ajouter une basse française au port noble et une pincée de baryton bouffe à la vis comica dans le sang et saupoudrer de ténor mexicain exalté pour obtenir un Elixir de Musique exceptionnel au Liceu de Barcelone!



La mise en scène reste bien classique et si Mario Gas transpose l’action au XXème siècle, cela ne gâte en rien le bonheur et le plaisir du spectateur. Les décors représentent la place d’un village au milieu de laquelle se trouve une fontaine, point de rencontre de tous les personnages. Nemorino y tient la librairie et aide au café. La couleur des murs, sur un dégradé d’orange, est très douce et ressemble aux couleurs du soleil typiquement italien. Pour le mariage d’Adina et de Belcore, une grande table de repas est installée au premier plan. La direction d’acteurs est vraiment excellente d’autant plus qu’elle repose sur des chanteurs qui sont également de parfaits comédiens. Pour le duo “Caro Elisir, tra, la, la…”, le metteur en scène les sépare, Nemorino est au premier étage des maisons qui entourent la place et Adina est attablée au café, ce qui rend toute communication presque impossible. Le dernier choeur du premier acte est très bien étudié aussi car tous les personnages sont au bord de la rampe et seul Nemorino, hagard et isolé, grimpe sur un piquet qui est au milieu de la scène. Les costumes sont également simples, Adina multipliant les robes d’été à fleurs… Cette mise en scène éclaire l’oeuvre, lui apporte un sens, qualités qui deviennent très rares à trouver dans les productions récentes.


Maria Bayo est une Adina excellente, parfaite pour jouer les pestes, mais les pestes avec un coeur et ce dès le début de l’opéra. La voix de la chanteuse sert à merveille cette musique et elle serait même trop luxueuse pour le personnage. La soprano distille la légende d’Isolde avec une noblesse remarquable, rendant les silences vivants avec des ralentissements et des attentes dans le phrasé. La partition ne lui pose aucun problème: elle se montre aussi à l’aise dans les airs vifs, comme le duo avec Nemorino au premier acte, que dans les airs plus dramatiques comme le superbe “prendi per me sei libero”, passage auquel elle donne des couleurs et une richesse insoupçonnées.
Rolando Villazon faisait des débuts très attendus au Liceu de Barcelone et vu l’enthousiasme dans la salle puis dans les coulisses, le ténor mexicain a plus que rempli son contrat! Et comment résister à une telle musicalité évidente, à un chant aussi beau et aussi bien maîtrisé? Rolando Villazon est Le Nemorino idéal: il parvient à présenter un jeune homme assez niais mais aussi redoutablement intelligent. En somme il ne devient “idiot” que par amour et par timidité. Le chanteur se double d’un acteur exceptionnel qui, avec de petits gestes, des regards bien étudiés, crée un personnage et le fait évoluer au cours de l’opéra pour le laisser exploser dans le fameux “una furtiva lagrima”. Rolando Villazon compose en réalité deux Nemorino: celui du premier acte est un impulsif, pas très réfléchi tandis que celui du deuxième acte a souffert et est au bord de perdre celle qu’il aime. Scéniquement la transformation est sensible puisqu’il se déplace avec plus de calme et de réserve: le désespoir se lit sur son visage. La voix est, bien évidemment, exceptionnelle avec des aigus lumineux et étincelants et, surtout, des graves voluptueux et nourris. Le chanteur semble progresser de représentations en représentations et le public ne s’y trompe pas car après de longues minutes d’applaudissement, il réclame un second “una furtiva lagrima”. Rolando Villazon l’interprète avec tellement d’émotion, tellement de sensibilité qu’on a l’impression de l’entendre pour la première fois: il joue sur les nuances, il accompagne ses notes d’un port de voix dramatique et surtout il tient les notes jusqu’à les laisser mourir (crescendo et decrescendo sur le “non chiedo” final)…
Le rôle de Belcore est tenu par Jean-Luc Chaignaud dont l’excellence de la présence scénique n’est plus à démontrer. Ce personnage lui convient parfaitement et son entrée en scène se fait dans la salle du Liceu qu’il traverse en saluant les spectateurs. Le chanteur apporte une réelle carrure à l’officier et son air d’entrée est parfaitement mené, avec une puissance souveraine, une autorité exemplaire. Le duo avec Nemorino “Venti scudi” est un bonheur musical: avec un art consommé, Belcore distille peu à peu son venin grâce à quelques retenues dans la voix, un certaine distance dans l’émission…
Bruno Pratico, en remplacement de Simone Alaimo, compose un Dulcamara savoureux, drôle et plutôt bonhomme: il n’est pas réellement rusé et intelligent mais il a une certaine tendresse envers le couple d’amoureux. Vocalement, s’il est toutefois très bon, il ne peut rivaliser avec le charisme et la facilité de ses partenaires. Il chante très correctement son grand air au premier acte mais c’est à partir du duo avec Adina “Io son ricco “ qu’il devient vraiment irrésistible, enlaidissant à l’extrême sa voix pour ce passage
Cristina Obregon joue une fine et rusée Giannetta. Sa voix, qui n’est pas sans faire penser à celle de Maria Bayo, est d’une grande pureté et d’une résonance toute musicale.


La direction de Daniele Callegari est excellente, malgré quelques petits décalages avec le choeur, et il apporte la vivacité, l’électricité qu’il faut pour rendre l’oeuvre encore plus délicieuse. Il compte également sur l’orchestre du Liceu de très bonne qualité notamment le pupitre de la harpe qui transforme ses notes en véritables larmes au début de l’air de Nemorino. La fosse et le plateau sont bien complices et lorsque Nemorino ne se souvient plus du nom de la compagne de Tristan, l’orchestre esquisse quelques mesures de Wagner…



Une très grande soirée comme il arrive assez rarement d’en vivre! Chanteurs, chef, orchestre se dépensent sans compter pour défendre cette partition. Cette série de représentations restera dans les mémoires pour l’interprétation fine et subtile de Maria Bayo et pour les débuts fracassants de Rolando Villazon à Barcelone.



A noter:
- Rolando Villazon reprendra le rôle de Nemorino au Staatsoper de Berlin les 21, 24 et 27 avril 2006, en compagnie de Anna Samuil et de Natale de Carolis.
- la présence de caméras dans la salle laisse augurer un enregistrement et peut-être une commercialisation en DVD.


Manon Ardouin

 

 

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