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Envoûtements picards

Beauvais
Théâtre du Beauvaisis
05/10/2005 -  
Suzanne Giraud : Le Singe, la Banquise et le Téléphone portable (*) (création) – Envoûtements VIII (#) (création) – Envoûtements VI
Andrew Downes : Huit violoncelles et cinq timbales (création)
François-Bernard Mâche : Aera

Elèves des classes de CM1 et CM2 de l’Ecole Claude Debussy – L’Octuor de violoncelles: Jacques Bernaert, Lionel Allemand, Maryse Castello, Robin De Fives, Mi-Sung Kim, Magdalena Ritter-Rebacz, Mimi Sunnerstam, Eric Robineau – Les Percussions de Strasbourg: Jean-Paul Bernard, Claude Ferrier, Bernard Lesage, Keiko Nakamura, François Papirer, Olaf Tzschoppe – Yves Delescluses (*), Daniel Kawka (#) (direction)


Sous la direction artistique de Jacques Bernaert, les treizièmes Rencontres d’ensembles de violoncelles de Beauvais affichent le souci d’aller à la rencontre de tous les publics en investissant, outre le Théâtre du Beauvaisis, des lieux où la musique, particulièrement la musique dite «classique», n’a pas ses habitudes (hôtel de ville, médiathèques, musées, lycées, collèges, écoles, gare, maison d’arrêt, grand magasin ou aire d’autoroute). Elles proposent ainsi, du 7 au 11 mai, un large éventail de manifestations (spectacles, master classes, expositions) mettant en valeur ensembles constitués (L’Octuor de violoncelles, Les Basses réunies, les quatuors Klimt et Alexander, le trio de Bratislava, Tara Fuki), solistes (Anner Bylsma, Arto Noras, Régis Pasquier) mais aussi compositeurs: outre un concert conférence, une soirée et une exposition consacrés à Henri Dutilleux et René Koering, le festival proposait un spectacle autour de trois partitions de Suzanne Giraud, apportant une démonstration éclatante de la diversité de son inspiration et de sa palette expressive.


Créé pour l’occasion, Le Singe, la Banquise et le Téléphone portable s’accommode avec beaucoup d’à-propos et de sensibilité d’une double contrainte: instrumentale (quatre violoncelles) et littéraire (un livret écrit par les élèves de CM1 et CM2 de l’école Claude Debussy de Beauvais), parvenant à maintenir, une demi-heure durant, le délicat équilibre entre la nécessaire simplification du langage, pour les plus jeunes, et le légitime attachement à une exigence artistique, pour les adultes. Les vingt enfants de ces deux classes peuvent donc tour à tour chanter, crier, imiter le bruit du vent, parler, jouer avec des percussions et se mouvoir sur le plateau, illustrant un canevas délicieusement absurde et poétique en même temps qu’animé par des préoccupations tout sauf puériles («le monde ne tourne vraiment pas rond»). Il est vrai que le désordre règne dans l’univers des mots, où le «signe», par exemple, est devenu «singe», mais au terme d’un parcours quasi initiatique où l’on rencontrera entre autres un téléphone portable et une idée en forme d’ampoule électrique, le dictionnaire permettra heureusement de «retrouver le sens des mots» et au singe Tifl de découvrir son nom. La musique commente et soutient cette quête avec une infinie délicatesse, de barcarolle-berceuse en marche des touaregs. Malgré des enchaînements parfois incertains et une difficile coordination des éclairages, le travail accompli, toutes tranches d’âge confondues, est remarquable, Yves Delescluses portant véritablement à bout de bras ces interprètes en herbe: l’ensemble «fonctionne» et pourrait donc sans nul doute faire la joie de groupes plus chevronnés.


Avec Huit violoncelles et cinq timbales, également en première mondiale, Andrew Downes (né en 1950), qui compte pourtant à son actif une Sonate pour huit cors, une Sonate pour huit flûtes et Cinq pièces dramatiques pour huit «Wagner-Tuben», donne l’impression d’être passé à côté des potentialités qu’offre une telle formation: timbales (confiées à un seul exécutant) et même cordes paraissent en effet sous-exploitées par une écriture confinant en outre à la maladresse, d’autant que malgré sa brièveté (six minutes), la pièce souffre d’un manque total de direction et de structure, errant entre bribes de passacaille et de développements fugués.


François-Bernard Mâche se fait rare au concert et au disque: fâcheuse tendance, car mû par une insatiable soif de connaissance, le compositeur, qui a fêté ses soixante-dix ans le mois dernier, a su tracer son chemin à l’écart des chapelles et des modes. Les six solistes des Percussions de Strasbourg viennent le rappeler fort opportunément dans les dix-neuf minutes de magie hypnotique d’Aera (1978): répétitions, lentes progressions et superpositions complexes produisent davantage un halo sonore que des sensations de vitesse ou de rythme, notamment grâce au recours, hors de toute «couleur locale», à dix-neuf gongs thaï.


La seconde partie était intégralement dédiée à deux des plus récents Envoûtements de S. Giraud, cycle dont chaque pièce obéit à une structure identique et porte un numéro correspondant à l’effectif qu’elle requiert. Troisième création de cette soirée, les Envoûtements VIII sont, bien entendu, destinés à huit violoncelles, ceux de l’Octuor de violoncelles mené par Jacques Bernaert. La difficulté de la mise en place et le raffinement des textures exigent en outre la présence du chef d’orchestre Daniel Kawka. Comme chez Bartok, le soin presque maniaque apporté à la construction ainsi que la parfaite maîtrise des ressources techniques des instruments ne constituent jamais une fin en soi, mais simplement le moyen d’atteindre une expression fusionnant rigueur et lyrisme: si la densité et la richesse du propos (ainsi que la durée – quatorze minutes) évoquent celles des Envoûtements V (pour guitare et quatuor à cordes), la formation réunie autorise par ailleurs des effets de nature plus orchestrale, comme ces accords répétés ou ces cellules qui circulent rapidement d’un groupe à l’autre.


Si les Envoûtements VII, achevés en janvier dernier, ne seront présentés que ce mois-ci à Marseille, Saint-Etienne et Lyon, les Envoûtements VI remontent déjà à 2003 et frappent par un solide sens de l’humour, voire de l’autodérision. En effet, les Percussions de Strasbourg, pour qui l’œuvre a été composée, se transforment ici en chanteurs, mimes ou acteurs: leur propre corps étant en quelque sorte lui-même assimilé à un instrument à percussion, ils bougent, bondissent, rient, émettent des onomatopées et chants d’oiseaux, sifflotent, jettent leurs baguettes par terre, froissent des papiers pour les lancer en direction de la salle et lisent – tous ensemble, autant que possible – des textes qu’ils ont eux-mêmes sélectionnés (cours de cuisine, leçons de karaté, guide touristique, …), cette cacophonie babelesque remémorant curieusement les Swingle singers dans la Sinfonia de Berio... Mais le happening façon années 1970 n’est qu’apparent, la partition réglant minutieusement ces vingt minutes qui alternent sections où les musiciens, bien alignés sur le devant de la scène, se livrent à des joutes verbales scandées par les trépidations des pieds et par les cris rauques du lion’s roar, et sections où, ayant rejoint le pourtour de la scène, usent de modes de jeu plus traditionnels: s’imposent alors soit un calme presque planant, engourdi autour de deux accords à la manière du chœur final des Planètes de Holst, soit un rythme vigoureux, déclenché par les peaux et dont le caractère obsédant semble vouloir s’inscrire délibérément dans le cliché de l’envoûtement. Extraordinairement rafraîchissants tout en réservant un second degré d’analyse plus profond, voire plus grave, ces Envoûtements réjouissent visiblement autant spectateurs et musiciens, parfaitement à la hauteur de ce défi physique et artistique.


Le site des Rencontres d’ensembles de violoncelles de Beauvais
Le site de Suzanne Giraud
Le site d’Andrew Downes




Simon Corley

 

 

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