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Une Clemenza dans le langage des mains Zurich Opernhaus 04/24/2005 - et les 26*, 28 avril et 18, 22, 24 et 26 juin 2005
Wolfgang Amadeus Mozart: La Clemenza di Tito
Jonas Kaufmann (Tito), Eva Mei (Vitellia), Malin Hartelius (Servillia), Vesselina Kasarova (Sesto), Liliana Nikiteanu (Annio), Günther Groissböck (Publio)
Choeur de l’Opéra de Zurich (Ernst Raffelsberger, préparation), Orchestre de l’Opéra de Zurich, Franz Welser-Möst (direction musicale), Jonathan Miller (mise en scène)
Les empereurs romains tiennent la vedette à l’Opéra de Zurich: après Néron et Jules César, c’est maintenant au tour de Titus d’occuper la scène. Au lever du rideau, Vitellia, dos au public, pianote nerveusement avec sa main gauche sur la rampe d'un escalier, en signe d'impatience et de contrariété. Cette image est symptomatique de la nouvelle production de La Clemenza conçue par Jonathan Miller. Pour la caractérisation des personnages, le metteur en scène anglais s’est concentré sur les mille et un petits gestes qui reflètent la personnalité: les mouvements des mains, on l'a dit, mais aussi les expressions du visage (mimiques, grimaces, clignements des yeux), bref le langage corporel dans son ensemble. Le travail accompli est manifeste, mais si l'intention est louable, sa portée reste par contre terriblement limitée, car à force de ne s'occuper que des détails, Miller n’a pas réussi à donner une vision d’ensemble au spectacle. Résultat: sa réalisation apparaît franchement statique, presque figée, les chanteurs se contentant d’interpréter leurs airs sur le devant de la scène. Et il n’est pas sûr non plus que les détails des mains et des visages soient visibles au-delà des premiers rangs du parterre, même dans un théâtre aux dimensions idéales comme celui de Zurich. Abondamment chahuté le soir de la première, le metteur en scène, présent dans la salle pour la deuxième représentation, a préféré s'abstenir de venir saluer. Pour le reste, les solistes évoluent sans pratiquement aucun accessoire, dans un dispositif scénique (Isabella Bywater) à l’esthétique sobre: au centre du plateau trône un immense escalier tournant sur lui-même et flanqué d'une tour aux tons gris. Les deux côtés de la scène sont constitués de baies vitrées derrière lesquelles sont projetées les flammes de l'incendie du Capitole. Chanteurs et choristes portent de beaux costumes foncés des années 1930 (conçus eux aussi par Isabella Bywater).
Dès la fin de l’ouverture, une surprise attend l’auditeur: les récitatifs sont remplacés par des dialogues parlés, beaucoup plus concis. Si l’action s’en trouve resserrée, on reste perplexe devant le manque de naturel et le pathos dont sont affublées les interventions des chanteurs. La distribution n’est en effet composée que d’un seul italophone et cela s’entend. Dommage que le programme ne fournisse aucune explication sur ce parti pris.
Comme bien souvent à Zurich, le plateau vocal et la direction musicale sont de très haute tenue. Il ne reste donc plus qu’à fermer les yeux et à se laisser entraîner par la lecture précise et contrastée de Franz Welser-Möst, qui soigne chaque détail. Seul bémol: l’orchestre a parfois tendance à jouer trop fort. Habituée du rôle de Sesto, Vesselina Kasarova éclaire tous les traits de son personnage complexe grâce à son mezzo aux couleurs graves et chaudes, mais sans jamais vraiment réussir à émouvoir, son interprétation dégageant une certaine froideur. Eva Mei se déjoue avec brio des pièges des vocalises de Vitellia; son chant est particulièrement expressif, même si parfois le timbre peut sembler légèrement métallique. La voix de Jonas Kaufmann, ténor aux accents de baryton, semble un peu lourde pour le rôle de Titus, mais le chanteur fait preuve de beaucoup d’aplomb et possède une forte présence scénique. Cette nouvelle production est arrivée à la fin d'une semaine particulièrement éprouvante pour Alexander Pereira, directeur de l’Opéra de Zurich, qui a été l’un des plus sérieux candidats au poste de surintendant de la Scala. Contrairement à Titus, la presse helvétique a cependant été peu encline à la clémence, qualifiant ce spectacle d’emblématique de l’ère Pereira: de très haute volée sur le plan musical, mais vide sur le plan scénique.
Claudio Poloni
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