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Expériences Paris Théâtre des Champs-Elysées 04/19/2005 - Jean-Féry Rebel : Les Eléments
Karl Amadeus Hartmann : Symphonie n° 4
Ludwig van Beethoven : Concerto pour violon, opus 61
Ensemble orchestral de Paris, Thomas Zehetmair (violon et direction)
Directeur musical du Northern Sinfonia (Newcastle) depuis trois saisons, Thomas Zehetmair mène en parallèle – et il n’est pas le seul, tant s’en faut – une carrière de chef d’orchestre. Mais celui qui demeure l’un des violonistes les plus originaux de sa génération n’est pas pour autant rentré dans le rang, comme le montre le programme qu’il avait choisi, faisant table rase de ces acquis qui dissimulent si souvent de paresseuses habitudes: trois œuvres, appartenant chacune à une esthétique (et à un siècle) différents et, surtout, offrant chacune l’occasion d’une expérience, avec les aléas inhérents à un tel exercice.
Première expérience: faire jouer Les Eléments (1737) de Jean-Féry Rebel par une formation «moderne», dans la mesure où ce sont les ensembles «baroques» qui ont remis à la mode cette étonnante suite de ballet. Celle-ci mérite sans peine ses deux sous-titres de «symphonie nouvelle» – avec son fameux Cahos introductif mais aussi ses dialogues à distance entre le piccolo et la flûte, simplement associés à deux cordes solistes – ou de «symphonie chorégraphique», comme… Daphnis et Chloé de Ravel, qui comprend d’ailleurs également des évocations de chants d’oiseaux. Pour assurer la légitimité d’un orchestre traditionnel dans ce répertoire, Zehetmair n’en a pas moins retenu la leçon des instruments «anciens», usant par exemple très parcimonieusement du vibrato, même si une certaine raideur d’articulation produit parfois un résultat excessivement astringent.
Deuxième expérience: présenter au public parisien l’une des symphonies de Karl Amadeus Hartmann, alors que celles-ci, constituant pourtant un maillon essentiel de l’histoire de ce genre au siècle passé, se font tellement rares dans la capitale que l’Ensemble orchestral de Paris est ainsi le seul à en présenter une cette saison (1). Comme bon nombre de ses créations d’après-guerre, la Quatrième symphonie (1947) résulte de l’ample révision d’un travail entrepris dans les années 1930, dont elle traduit le climat sombre et angoissé. Destinée aux seules cordes, elle ne possède certes pas l’impact physique des trois dernières symphonies, d’autant que l’effectif réuni en l’espèce (vingt-neuf instrumentistes) manque de puissance, mais elle n’en est pas moins typique du style du compositeur – avec notamment ce vaste Lento assai initial, en forme d’arche et au caractère de déploration – tout en s’inscrivant dans le sillage de Bartok, Berg, Britten, Chostakovitch, Hindemith ou Honegger. En tant que violoniste, Zehetmair s’est fait depuis longtemps le champion de Hartmann (voir ici): si son engagement le conduit par moments à encourager de la voix des musiciens que les exigences techniques de la partition mettent rudement à contribution, il rend sans doute mieux justice à l’humanisme du propos qu’à la véhémence ou à la passion, avec un Allegro di molto central quelque peu en retrait.
Troisième expérience: procéder à une relecture complète du Concerto pour violon (1806) de Beethoven (2). Délibérément déroutante, l’interprétation de Zehetmair brouille tous les repères et prend d’incontestables libertés avec le texte: tempo instable et globalement rapide, phrasés saccadés, accents imprévus, fort contrastes dynamiques, le tout dans une approche chambriste où l’accompagnement ne couvre jamais la sonorité fine et légère du violon. Dans un tel cadre, il n’est pas étonnant qu’un soin tout particulier ait été apporté aux cadences: s’il en insère une brève de son cru avant la reprise du refrain du Rondo, celle de l’Allegro non troppo ainsi que la transition entre le Larghetto et le Rondo proviennent de l’arrangement pour piano que Beethoven réalisa lui-même de son concerto. Manifestement apprécié de l’orchestre, Zehetmair n’a cependant pu en tirer le meilleur, ne parvenant en outre pas à éviter de trop fréquents décalages. Chaleureusement salué par le public, il conclut par l’un de ses bis favoris, le deuxième mouvement (Variations sur une idée rythmique) de la Seconde sonate (1927) de Hartmann.
(1) Ingo Metzmacher dirigera l’Orchestre national de France le 26 octobre prochain dans la Troisième symphonie.
(2) L’Ensemble orchestral de Paris donnera en juin prochain l’intégrale de ses symphonies de Beethoven sous la baguette de son directeur musical, John Nelson. Par ailleurs, le site de l’Ensemble (http://www.ensemble-orchestral-paris.com/index.html) présente d’ores et déjà la saison 2005-2006.
Simon Corley
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