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Triomphe sur l’adversité

Paris
Théâtre du Châtelet
04/15/2005 -  et 17, 21 et 23 avril 2005
Hans Werner Henze : The Bassarids (création française)

June Anderson (Agavé), Marisol Montalvo (Autonoé), Rebecca de Pont Davies (Beroé), Rainer Trost (Dionysos/L’étranger), Franco Pomponi (Penthée), Matthew Best (Cadmos), Kim Begley (Tirésias), Robin Adams (Le capitaine de la garde royale), Larrio Ekson (danseur)
Chœur du Théâtre du Châtelet, Stephen Betteridge (chef de chœur), Ensemble instrumental: Nathalie Steinberg, Michael Ertzscheid, Frédéric Rouillon (piano), Lyonel Schmit (violon), Camille Baslé, Alexandre Bérard, Thierry Briard, Jean-Guillaume Cattin, Ionela Cristu, Nathalie Gantiez, Jérôme Guicherd (percussion), Caroline Delume (guitare), Annick Robergeau (mandoline), François Ducroux (contrebasse), Marguerite Deleuze, Valeria Kafelnikov (harpe), Stéphane Petitjean/Cécile Restier (célesta), Emmanuel Collombert, Patrick Fabert, Arnaud Laporte, Rodolph Puechbroussous (trompette), Kazushi Ono (direction musicale)
Yannis Kokkos (mise en scène, décors et costumes), Anne Blancard (collaboration artistique), Patrice Trottier (lumières), Richild Springer (mouvements chorégraphiés)


La création française du drame musical en un acte The Bassarids (1965) de Henze aura donné lieu à un lamentable feuilleton à rebondissements. On apprenait d’abord le 7 avril que l’Orchestre philharmonique de Radio France ne serait pas en mesure de prendre place dans la fosse, le conflit social déclenché trois jours plus tôt par certains personnels administratifs et techniques de la «maison ronde» ayant en effet entraîné le blocage des instruments et des partitions et, partant, l’annulation de plusieurs répétitions, bien que les musiciens ne fussent pas eux-mêmes grévistes. Compte tenu des importants moyens déjà engagés à moins d’une semaine des représentations, une solution de rechange avait cependant été trouvée, le matériel d’orchestre acheminé depuis l’Allemagne et l’Orchestre Lamoureux devant remplacer le «Philhar’», avec pour seule conséquence la transformation de la première, prévue initialement le 13 avril, en «générale».


Toutefois, dans un communiqué publié le 11 avril, Jean-Pierre Brossmann, directeur général du Théâtre du Châtelet, annonçait que «soumis à des pressions extérieures», l’Orchestre Lamoureux avait dû renoncer, «ne pouvant réunir les musiciens supplémentaires nécessités par la formation spécifique à cet ouvrage». Il ne restait plus qu’à faire contre mauvaise fortune bon cœur: Kazushi Ono, assisté de Laurent Melin et des pianistes Nathalie Steinberg, Michael Ertzscheid et Frédéric Rouillon, travaillèrent donc d’arrache-pied afin d’adapter la somptueuse partition de Henze, exercice d’autant plus difficile qu’elle est destinée, même dans sa version réduite publiée en 1992, à un effectif imposant (bois et cors par quatre, cinq trompettes, trois trombones, tuba, percussions, harpe, célesta, piano, mandoline et cordes).


Le compositeur qui, au plus beau de sa période «révolutionnaire», avait été «chef de projet artistique» d’une pièce collective sous forme de cantate scénique intitulée… Grève à Mannesmann, a déploré – c’est bien le moins – «que son œuvre ne puisse être donnée avec son orchestration originale», témoignant sa «solidarité» et transmettant ses «encouragements bienveillants» aux artistes. Privé par ailleurs de l’Intermezzo onirique du troisième mouvement, alternative il est vrai ouverte par la révision de 1992, l’opéra tournait ainsi de tous côtés à la peau de chagrin. Pourtant, cette production s’annonçait prometteuse. Car non seulement Henze est un homme de théâtre mais, parmi la bonne dizaine d’ouvrages lyriques que compte son catalogue (dont Boulevard Solitude, Le Roi Cerf, Le Jeune Lord ou Peines de cœur d’une chatte anglaise), The Bassarids demeure relativement peu connu, au point qu’il n’avait encore jamais été présenté en France.


Tiré des Bacchantes d’Euripide, le livret (en anglais ou en allemand) en est dû à Auden et Kallman, qui avaient déjà travaillé avec Henze sur l’Elégie pour de jeunes amants (et, quelques années plus tôt, sur The Rake’s progress de Stravinski): lui ayant imposé une confrontation avec Le Crépuscule des dieux (!), ils lui offrent ici un canevas de forme symphonique, en quatre «mouvements», dont il va tirer deux heures de musique en continu, un peu à la manière de L’Or du Rhin. Le contexte mythologique autant que certaines tonalités postromantiques suggèrent effectivement un climat wagnérien, Cadmos, le fondateur de Thèbes, assistant, tel Wotan avec Siegfried, et sans pouvoir davantage s’y opposer, à une catastrophe qu’il pressentait, provoquée par l’hubris de ses petit-fils Penthée et Dionysos.


La réduction instrumentale sauvegarde les textures arachnéennes, d’origine mahlérienne ou webernienne, si typiques de Henze (guitare, mandoline, harpes, célesta), mais les trois pianos, qui se substituent aux bois et aux cordes, exhalent un inévitable parfum de Noces de Stravinski – même si le début rappelle également l’hiératisme d’Œdipus Rex – ou de Catulli carmina d’Orff, surtout que les rythmes de danse, également emblématiques du compositeur, s’expriment ici idéalement dans la frénésie dionysiaque des Bacchantes (ou Bassarides, ou encore Ménades). Il est vrai que Dionysos avait déjà inspiré Henze, notamment dans le Dithyrambe et la Danse incantatoire de sa Troisième symphonie (1950) ainsi que dans ses trois Dithyrambes pour orchestre de chambre (1958). De fait, alors que les librettistes tendent à exalter la vertu et les interrogations de Penthée, Henze dote le personnage cynique et équivoque de Dionysos, sorte de Peter Quint du Tour d’écrou de Britten ou de visiteur de Théorème de Pasolini, de teintes séductrices et d’une ligne vocale envoûtante. Cadmos et Penthée, au contraire, se situent dans un registre plus austère évoquant – mais cela tient peut-être à une même remise au goût du jour de l’Antiquité – Le Roi Priam de Tippett.


Directeur musical de la Monnaie, Kazushi Ono a brillamment sauvé la mise: une fois n’est pas coutume, c’est d’ailleurs le chef qui reçoit l’ovation la plus impressionnante, les vingt et un musiciens, fait exceptionnel, étant venus sur scène recevoir du public la légitime récompense de leur contribution à ce succès. Car s’ils sont parvenus sans trop de peine à faire oublier la version originale, que de regrets, en même temps, tant le spectacle, avec une formation complète dans la fosse, eût sans doute approché la perfection. Yannis Kokkos – qui demeurera dans l’univers d’Euripide, toujours au Châtelet, avec Médée de Cherubini en juin et juillet prochains – signe à la fois une mise en scène parfaitement lisible, des décors subtilement allusifs et des costumes sobrement contemporains, laissant le champ libre à la dimension allégorique du propos. Son utilisation de l’espace est aussi simple que réussie, avec la cour de Thèbes et le tombeau de Sémélé au premier plan, légèrement incliné, et les Bassarides placées en hauteur à l’arrière-plan, ne quittant l’ombre que pour ressortir dans les lumières dignes d’un Véronèse dispensées par Patrice Trottier.


La distribution sert admirablement une écriture au lyrisme débordant, qui met toujours en valeur les voix, jusque dans des ensembles d’une complexité et d’une densité étonnantes. Il faut avoir vu et entendu June Anderson (Agavé) transformée en Salomé hystérique portant la tête de son fils. A ses côtés, Marisol Montalvo (Autonoé) se joue des aigus d’une partie difficile. Franco Pomponi, dont le timbre mat s’affermit au fil de la soirée, convainc, y compris par sa présence scénique, dans le rôle écrasant de Penthée. Un peu contraint dans son émission, Rainer Trost n’en campe pas moins un Dionysos hippie bien chantant, manquant toutefois de projection lorsqu’il apparaît, à la fin de l’opéra, sous son vrai jour divin. Rebecca de Pont Davies (Autonoé) et Matthew Best (Cadmos) habitent remarquablement leurs emplois vocalement et théâtralement assez convenus de nourrice et de basse noble, tandis que Kim Begley s’impose en Tirésias devenu homme d’église matois. Elément-clé de l’action, le chœur, préparé par Stephen Betteridge, livre également une superbe prestation.



Simon Corley

 

 

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