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Le modèle allemand Paris Cité de la musique 04/13/2005 - Richard Wagner : Tristan und Isolde (Prélude du premier acte)
Arnold Schönberg : Cinq pièces pour orchestre, opus 16 – Variations pour orchestre, opus 31 – Erwartung, opus 17
Inga Nielsen (soprano)
SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, Michael Gielen (direction)
Les cycles passent à la Cité de la musique, les orchestres aussi, mais Michael Gielen y revenait pour la troisième fois de la saison, à nouveau dans un programme associant Wagner et Schönberg: après l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich dans le cadre du cycle «R. Strauss. L’Ecole de Vienne» (voir ici) puis celui de la Radio de Berlin dans le cadre du cycle «Musique pure. Musique engagée», c’est avec l’Orchestre de la Südwestfunk, celui de Rosbaud, désormais baptisé «Orchestre symphonique de la SWR de Baden-Baden et Fribourg» et dont il est le «chef invité permanent» depuis 1999, qu’il se présentait pour ouvrir une série comprenant huit concerts et un forum consacrés, d’ici le 29 avril, à «La France en quête d’identité».
Et ouvrir le ban par un concert Wagner/Schönberg ne relève, malgré les apparences, ni de la provocation, ni même du paradoxe, tant la fascination ou la répulsion, parfois mêlées, suscitées par l’un et par l’autre ont marqué, au fil d’une histoire de la musique ballottée par l’Histoire tout court, le développement des artistes français, dont bon nombre ont eu le souci, à partir de la défaite de 1870, de promouvoir une voie (ou une voix) nationale qui se définirait notamment par rapport à l’Allemagne, rivale en même temps que modèle. Les réactions de Madame Verdurin face au Prélude du premier acte de Tristan et Isolde (1859) de Wagner sont d’ailleurs emblématiques d’une relation ambivalente: cette musique lui donnait la migraine, «non qu’[elle] lui déplût, mais au contraire parce qu’elle lui causait trop d’impression». Au prix d’une lecture analytique, attentive à faire ressortir toutes les voix, et d’un tempo très retenu qu’il anime peu à peu dans une progression d’un impressionnant effet dramatique, Gielen sort des sentiers battus sans pour autant se départir de sa légendaire rigueur, offrant un superbe lot de consolation à ceux qui auraient raté, la veille, la première de la toute nouvelle production de cet opéra à Bastille (voir ici).
Si les Cinq pièces pour orchestre (1909) de Schönberg, notamment la troisième (Couleurs), se sont révélées aussi décisives pour l’évolution de l’esthétique musicale au XXe siècle que le fameux accord de Tristan, il aura en revanche fallu attendre l’après 1945 pour que leur importance soit pleinement appréciée de ce côté-ci du Rhin. Enchaînant sans interruption avec Wagner, Gielen en livre une interprétation parfaitement maîtrisée, mais tout sauf abstraite ou intellectuelle, depuis l’explosion quasi varésienne de Pressentiment jusqu’à la plénitude sonore du Récitatif obligé, en passant par le caractère quasi debussyste de Passé et la violence hallucinée de Péripétie, faisant vibrer la célèbre pièce centrale sans la réduire à une froide étude de timbres. Le chef allemand donne ensuite des Variations pour orchestre (1928) une lecture limpide et souple, à la respiration naturelle, mêlant lyrisme, puissance et intensité tout en magnifiant la richesse de l’orchestration.
Erwartung (1909) ne possède sans doute pas de descendance française – La Voix humaine de Poulenc (que l’on pourra d’ailleurs entendre le 23 avril en ces mêmes lieux) ne saurait évidemment y prétendre, même si son sujet n’en est pas tellement éloigné – mais s’inscrit dans la filiation wagnérienne, proposant une sorte de Mort d’Isolde revue par Freud. La direction de Gielen exacerbe le postromantisme de la partition, avec une formation chauffée à blanc, alternant hurlements et sommets de raffinement. De même que son personnage se débat avec une forêt omniprésente, Inga Nielsen ne parvient pas à toujours à éviter que cet orchestre tour à tour rugissant et sensuel lui vole la vedette. Peu aidée, il est vrai, par une acoustique qui ne favorise décidément pas le chant, la soprano danoise a en outre choisi de passer en finesse plutôt qu’en force, campant une femme-enfant un rien maniérée, entre Salomé et Pierrot lunaire.
Simon Corley
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